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Etienne Debourg, premier maire de Villeurbanne

Avec le portrait du premier maire de Villeurbanne, jeune homme actif pétri des idéaux révolutionnaires, on suit ici l’apprentissage de la démocratie locale, l’espace d’un court mandat d’un an et demi : élection, mise en place de la nouvelle municipalité issue de la Révolution et premiers travaux municipaux.

Fête de la Fédération 30 mai 1790 au Grand Camp (BMLyon fds Coste)
extrait de la chronique du curé de Villeurbanne Dechastelus (1791) (AMV GG8)
Signatures des membres du conseil municipal du 27 mai 1790 (AMV 1D260)

Auteur(s) : Alain Belmont, historien

 La première élection municipale

Le nom d'Etienne Debourg s’inscrit dans l'histoire de Villeurbanne le 14 février 1790. Ce jour-là, 129 chefs de famille, sur un total de 1600 habitants, élisent un maire[1]. Deux mois auparavant, le 14 décembre 1789, l'Assemblée Nationale a en effet définitivement supprimé toutes les formes d'administration locale héritées de l'Ancien Régime, notamment les assemblées d'habitants et les consuls qui, jusque-là, géraient villes et villages. Pour l'occasion, les électeurs, "assemblés au son de la grosse cloche à l'issue des vêpres dans notre église paroissiale", à Cusset, ont écouté attentivement les explications données par le notaire et le curé du village. A quoi va servir cette "municipalité" que les députés ont inventée, et qui va s'en occuper ? Les discours se succèdent, tous enflammés de l'esprit du temps, en ce "premier jour de la restauration de notre liberté", déclare le procès-verbal de la réunion. Puis, "de là, l'assemblée a passé à l'élection du maire". Une élection d'abord marquée par une hésitation, puis suivie d'une large adhésion : "Le premier et le second scrutin individuel n'ayant pas donné la pluralité absolue des voix, on a procédé à un troisième [tour], dans lequel maître Etienne Debourg a réuni les deux-tiers des suffrages"[2].

Les fondations d’une municipalité par un jeune maire, novice mais ambitieux pour sa commune.

En élisant Debourg, les Villeurbannais ont choisi un homme jeune qui, jusque-là, n'a jamais joué de rôle dans la vie politique locale. Né le 9 octobre 1763[3], il n'est âgé que de 26 ans lorsque les électeurs lui confient les rênes de la commune. Habitant le hameau des Buers[4], il exerce la profession de laboureur et de marchand, ce qui le place parmi les familles les plus aisées du village, au même rang que les Gacon, les Buer ou les Saulnier. A preuve, lorsqu'il épouse Fleurie Goipard, en 1784, sa femme lui apporte plus de 4000 livres en pièces d'or et d'argent, l'équivalent du patrimoine de deux ou trois artisans[5]. Puis, durant toute sa vie, Debourg continue à s'enrichir, achetant régulièrement des terres[6], au point de posséder sur 27 hectares[7] l'un des plus grands domaines de la commune, dont les récoltes et les troupeaux alimentent les marchés de Lyon. L'aisance financière, cependant, ne vaut pas l'expérience, et l'on s'étonne qu'à un moment-clé de leur histoire, les électeurs aient choisi un novice. Le curé de Villeurbanne ne s'y est d'ailleurs pas trompé, qui racontant l'élection dans ses registres, note que "lon avoit fait de bons choix pour la probité et la sagesse, mais il auroit été a désirer que s'y trouva un peu plus de lumières, surtout pour un commencement ou tout le monde etoit bien novice"[8] (voir l’extrait de la chronique du curé en image jointe). En fait, la désignation de Debourg semble résulter d'un calcul politique. En votant pour lui, les élites du village, comme le notaire Cochard ou l'ancien châtelain Broal, ont peut-être cru pouvoir le contrôler. Mais ils ont échoué.

Alors que son mandat est très court – un an et demi seulement, de février 1790 à novembre 1791 –, le nouveau maire a le temps d'assembler toutes les pièces de cette nouvelle institution qu’est la commune.

Un temps, les notables tentent de continuer comme sous l’ancien régime en réunissant "la plus saine partie de la paroisse"[9], autrement dit les plus riches. Mais Debourg convoque son conseil et, en quelques délibérations, enterre l'ancienne institution en s'appuyant sur les décrets de l'Assemblée Nationale[10]. Entraînés par le mouvement, ses conseillers se croient investis de tous les pouvoirs, et prennent des arrêtés de leur propre initiative[11]. Là encore, Debourg, rappelant qui est le maire[12], fait arrêter l'opposant virulent qu'est devenu le notaire Cochard[13].

Les grands travaux et les fêtes

C'est à lui que l'on doit la première mairie, une "chambre assez malcommode", louée dans le presbytère de Cusset[14]. C’est également sous son mandat qu’est créée, le 5 mai 1790, la garde nationale, équivalent d'une police municipale, constituée de tous les hommes en âge de porter des armes[15]. Incarnant les idéaux de la Révolution, proclamant ses principes de justice et d'équité[16], il participe à la grande fête fédérative tenue au Grand-Camp le 30 mai 1790[17]. Il met en place les nouveaux impôts payés par tous les citoyens et non plus seulement par les roturiers[18].

L'institution communale est alors dotée de solides fondations, et Debourg peut consacrer ses efforts à l'avenir de Villeurbanne. En janvier 1791, il décide de faire drainer les nombreux marais du village et, surtout, d'améliorer ses voies principales, en mauvais état. Ainsi, "les avenues étant plus faciles, les citoyens de Lyon fréquenteroient plus souvent nos campagnes, y prendroient goût par la suite et chercheroient à faire des acquisitions et de cette manière, les fonds n’en auroient que plus de valeur »[19]. Cet ambitieux programme vise d'abord les chemins reliant Cusset et Vaulx-en-Velin à Lyon – actuelles rue Francis-de-Pressensé et avenue Roger-Salengro-. Pour réaliser les travaux, Debourg fait appel à tous les riverains pour remblayer à leurs frais les fondrières et transformer les chemins en chaussées carrossables[20].

Après le mandat de maire, celui de conseiller municipal jusqu’en 1828

Mais en novembre 1791, de nouvelles élections portent au pouvoir Alexis Mermet[21]. Retournant à son commerce et à la gestion de ses propriétés, Etienne Debourg n'en continue pas moins à suivre les affaires communales en demeurant conseiller municipal jusque sous le règne de Charles X. Il ne quitte son dernier mandat que le 27 octobre 1828, soit 38 ans après avoir été élu maire, en priant le conseil "d'accepter sa démission que son grand âge et ses infirmités lui font un devoir de donner de ses fonctions de conseiller municipal ; les efforts du Maire et du Conseil étant impuissants, Mr Debourg se retire, persistant dans sa détermination"[22]. Il meurt à Villeurbanne le 17 mars 1837, à l'âge de 74 ans[23].

Une délibération du 31 mars 2016[24] perpétue son souvenir plus de deux siècles après son mandat révolutionnaire : une esplanade du quartier de Cusset porte dorénavant son nom.

 




Notes

[1] 1 D 260, registre des délibérations municipales, 14/2/1790, f° 2.

[2] Id.

[3] GG6, registres paroissiaux, acte de baptême du 9/10/1763.

[4] Matrice des propriétés foncières de la commune de Villeurbanne 1829-1862, p. 196

[5] Archives départementales du Rhône, 3E34245, f° 306, contrat de mariage du 28/5/1784.

[6] Archives départementales du Rhône, 3E34247, baux à ferme par Etienne Debourg des 19/12/1789 et 1/1/1790 et vente du 31/12/1790. 3 E 34248, vente du 12/9/1791 et quittance du 1/5/1792, etc. 

[7] Matrice des propriétés foncières de la commune de Villeurbanne 1829-1862, p. 196

[8] GG8, chronique du curé Dechastelus en fin du registre paroissial de 1790

[9] 1D260, registre des délibérations municipales, 5/5/1790 : "il y a eut une deliberation tendante à la formation de ladite milice mais d'une manière plus édifiante qu'elle ne le fut dimanche dernier, ou on ne vouloit admettre que les propriétaires ce qui avoit donné lieu à un mécontentement général".

[10] Id. par exemple le 20/4/1791.

[11] Id. 20/9/1790.

[12] Id. 23/12/1790.

[13] Id. 16/6/1790.

[14] Id. 20/4/1791.

[15] Id. 5/5/1790.

[16] Id. 16/6/1790.

[17] Bibliothèque Municipale de Lyon, fonds Coste 646, 350972, 350973 et 356064.

[18] 1D260, registre des délibérations municipales, 26/1/1791.

[19] Id. 1/1/1791.

[20] Id. 1/1/1791.

[21] Id. 13/11/1791.

[22] 1 D 263, registre des délibérations municipales, « démission de Mr Debourg conseiller municipal », 27 oct. 1828.

[23]  1 E 49, registre des décès de la commune de Villeurbanne (1833-1842)

[24] Délibération du conseil municipal du 31 mars 2016, n° 2016-99, « Dénomination d’espaces publics »


Sources

Archives municipales de Villeurbanne

1D260 : registre de délibérations du conseil municipal de Villeurbanne (14 février 1790 - 14 messidor an III (soit 2 juillet 1795).

1D263 : registre de délibérations du conseil municipal de Villeurbanne (1826-octobre 1838)

GG6 : Registres des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Villeurbanne (1755-1772).

GG8 : Registres des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Villeurbanne (1783-1792)

1E49 : registre des décès de la commune de Villeurbanne (1833-1842)

Matrice des propriétés foncières de la commune de Villeurbanne (1829-1862)

 
Archives départementales du Rhône

 3E34245 : minutes du notaire royal Claude Cochard (1783-1784)

 3E34247 : minutes du notaire royal Claude Cochard (1788-1791)

 3E34248 : minutes du notaire royal Claude Cochard (1791-1792)

 
Bibliothèque Municipale de Lyon

fonds Coste : 646, 350972, 350973 et 356064.


Thèmes : Politique

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