Accueil > Consultation > Encyclopédie > La nécropole nationale de la Doua

Imprimer la page

Consultation

La nécropole nationale de la Doua

Enclavé entre le campus universitaire et le réseau routier, le cimetière militaire de la Doua, inauguré en 1954, est un haut lieu de mémoire national qui rendait initialement hommage aux combattants « morts pour la France », sur le lieu même où furent exécutés 77 d’entre eux par l’occupant allemand. Avec le temps, cette nécropole a accueilli des victimes de guerre de différentes nationalités, devenant symbole de réconciliation. Ce lieu de mémoire reste vivant, à travers des commémorations mais aussi des visites organisées ou spontanées. 

La nécropole nationale de la Doua. Source : Photographie Lola Boccassini, mars 2021.
Inondation par les crues du Rhône des terrains de fouilles du charnier de la Doua. Source : AD69, 3788W873, 1944
Arrêté du préfet du Rhône du 7 juillet 1954 délimitant officiellement le cimetière militaire national de la Doua. Source : Archives Municipale de Villeurbanne, le Rize, 2H3, 1954.
Répartition des terrains militaire de la Doua entre la Ville de Lyon (bleu clair), le Service des PTT (bleu foncé), et l’autorité militaire (rouge). Source : Cimetière militaire de la Doua, NNRA3, 1954.

Auteur(s) : Lola Boccassini, Historienne

La création de la nécropole nationale de la Doua : la lente constitution d’un lieu de mémoire

 

À la Libération de la ville de Lyon, le 3 septembre 1944, les opérations de recherches des personnes décédées ou disparues sous l’Occupation allemande commencèrent activement. Les recherches s’orientèrent vers le site de la Doua, situé sur la commune de Villeurbanne, sur lequel l’on découvre rapidement la présence d’un stand de tir qui laisse présumer l’existence d’un peloton d’exécution. Terrain militaire d’entraînement appartenant au ministère de la Guerre et lieu d’exécution des prisonniers détenus à la prison de Montluc, ce site devient rapidement le lieu central des fouilles menées par les services mortuaires de la Croix-Rouge sous la direction du Frère Benoît, ainsi que par le bureau des inhumations de la Ville de Lyon et du Service régional d’identité judiciaire (SRIJ).

 

C’est en juillet 1945, après presque un an de recherches infructueuses et interrompues par une crûe du Rhône, que le lieu se révèle être un véritable charnier, dissimulant les corps des résistants ayant été condamnés à mort par le Tribunal Militaire Allemand. Ainsi, 77 corps sont retrouvés près du stand de tir. Ce sont 68 hommes, entre 16 et 73 ans, qui sont identifiés par le SRIJ. Ils étaient soldats, sous-officiers, maquisards, étudiants, ouvriers, commerçants, et ont été exécutés pour avoir pris part à la Résistance.

 

Avec les corps retrouvés, restitués ou non aux familles, naît la volonté de rendre aux morts un hommage suprême d’une ampleur nationale. C’est à travers ce désir d’ériger un cimetière militaire sur le terrain de la Doua, que cet hommage et cette mémoire vont se matérialiser dans l’espace.

En juillet 1945, à l’initiative du comité des Amis du charnier de la Doua émerge l’ambition de créer un cimetière militaire. Le maire de Lyon, Édouard Herriot, dans la perspective d’honorer le souvenir des fusillés de la Doua, apporte son soutien et son concours au projet. En effet, ce dernier obtient du Gouverneur militaire de Lyon, Marcel Descour, de s’associer pleinement à cette entreprise.

 

Rapidement le projet s’élargit pour devenir celui « d’un cimetière militaire national beaucoup plus vaste où seraient regroupées les tombes militaires de la Seconde guerre actuellement disséminées dans les divers cimetières »[1]. Les intentions du projet initial migrent assez vite d’un petit cimetière de patriotes vers un haut-lieu national de reconnaissance pour l’ensemble des victimes de la Seconde Guerre mondiale.

 

Finalement, c’est un projet de plus grande envergure encore qui converge avec celui de la construction de la nécropole. Celui du regroupement à la Doua de l’ensemble des tombes militaires de la Première Guerre mondiale disséminées dans les cimetières lyonnais (Croix-Rousse, Loyasse, Guillotière Ancien et Nouveau)[2]. Ainsi, en 1953, dans un contexte d’exiguïté des cimetières lyonnais et dans le cadre d’une politique de regroupement des tombes militaires et de création de nouvelles nécropoles nationales souhaitée par l’État, le regroupement des dépouilles des deux générations du feu est acté.

 

Dès lors, après la cession des terrains à l’État par la Ville de Lyon[3] et les multiples obligations d’ordre technique remplies[4], le 7 juillet 1954, par un arrêté préfectoral, le cimetière militaire est officiellement délimité et inauguré.

Par ailleurs, le processus de transfert des tombes de la Première Guerre mondiale débute véritablement en 1956. S’en suivra un très long déroulement des opérations semé d’obstacles : contacter les familles des défunts des années après, recenser les tombes dispersées, établir les différents statuts des sépultures et déterminer leur entrée ou non à la Doua font partie des nombreux éléments qui ralentissent le projet de regroupement des tombes.

 

             

Un cimetière militaire pour quels hommes ?

 

La réponse semble être une évidence : pour ceux qui sont morts à la guerre. La réalité, quant à elle est beaucoup plus complexe. En effet, l’ensemble des morts à la guerre n’ont pas accès à ce lieu de repos éternel qui est réservé à des catégories bien précises et prédéfinies par les textes de lois. La réglementation établit une distinction entre les différentes victimes de guerre. Pour qu’une dépouille puisse accéder à la nécropole nationale de la Doua, le défunt et les circonstances de sa mort doivent correspondre aux différentes exigences prescrites par le Code des pensions militaires d’invalidité et victimes de guerre.

 Au sens législatif du terme, « une nécropole nationale regroupe les corps des combattants « Morts pour la France » en temps de guerre, bénéficiant d’une sépulture perpétuelle entretenue aux frais de l’État dans un terrain acquis par celui-ci[5] ». Ainsi, sont exclusivement autorisés à la Doua les corps portant la mention post-mortem « Mort pour la France » et les sépultures à charge de l’État.

C’est le ministère des Anciens Combattants et Victimes de guerre qui est seul habilité à déterminer si les décès des soldats et civils remplissent les conditions posées pour l’accès à la mention « Mort pour la France » et par conséquent, s’ils peuvent obtenir une sépulture perpétuelle aux frais de l’État à la nécropole de la Doua.

 

Se trouvent à la Doua des catégories bien précises de tombes et de soldats. La municipalité a dû vigoureusement respecter les lois concernant l’entrée des corps à la Doua. Se bornant dans un premier temps au strict respect des conditions d’accès aux cimetières militaires, le ministère des ACVG a été plus ouvert dans les années 1970 quant aux tombes qui pouvaient prendre place à la Doua, ce qui a finalement permis à de nombreux défunts de pouvoir bénéficier d’une sépulture perpétuelle aux frais de l’État dans la nécropole de la Doua.

Cependant, comme de nombreux cimetières militaires, la Doua n’incarne pas toute la nation sacrifiée. Ce grand projet funéraire reste inachevé, estompant le souvenir de certains morts à la guerre, inhumés dans les cimetières communaux.

 

 

Un cimetière aux multiples nationalités porteur d’une mémoire transnationale

 

La nécropole de la Doua abrite 209 sépultures de guerre dans lesquelles reposent des corps de nationalité étrangère : 82 corps de la Grande Guerre et 127 de la Seconde Guerre mondiale[6]. Dépassant la volonté initiale d’en faire un cimetière réservé aux soldats français, la Ville de Lyon et le ministère des ACVG décident finalement de consacrer ce lieu à une mémoire transnationale.

Ainsi, à terme, l’ensemble des nations ayant participé aux conflits prennent place à la Doua et se retrouvent dans la célébration nationale des victimes de guerre. Ce lieu honore les combattants étrangers qui prennent place dans la mémoire française, sans distinction de nationalité : alliés, hommes d’Outre-mer dépendant des protectorats français et soldats des nations ennemies. Unies dans la mort, ces victimes de guerre ne forment plus qu’une seule « communauté de destin ».

La nécropole de la Doua se présente comme un symbole d’alliance, de réconciliation entre les nations et comme un lieu de dialogue, de rencontre, de réunion transnationale et interculturelle entre les peuples et les gouvernements. Le cimetière militaire, emblème de paix national, devient désormais un symbole de pacification à l’échelle internationale

Les sépultures étrangères sont également là pour rappeler dans les consciences les valeurs de fraternité et de paix qui doivent l’emporter. Ainsi, la nécropole nationale de la Doua devient un site support de réflexion sur la guerre et la paix à l’échelle internationale.

 

 

La nécropole de la Doua, un lieu toujours vivant

 

Créée il y a environ soixante-dix ans, la nécropole nationale a vu ses initiateurs s’éteindre ainsi que les principaux témoins des évènements disparaître progressivement.

Cependant, elle reste un site fréquenté par de multiples visiteurs qui donnent un sens personnel à leur démarche et leur venue : proches, anciens combattants, simples promeneurs, touristes, élèves, étudiants, chercheurs et historiens viennent sur ces lieux, source d’histoire directe, pour apprendre, comprendre, rendre hommage à leurs aînés ou frères d’armes.

 

Bien que la nécropole demeure un site toujours investi par les visiteurs, il y a tout de même un intérêt à maintenir cet espace vivant. En effet, les cimetières militaires ne possèdent pas un classement au titre de monument historiques, ni au titre de protection des sites[7]. Par conséquent, pour assurer leur avenir et celui de la mémoire nationale, ces lieux doivent rester vivants et être ainsi sauvegardés, car leur devenir reste incertain. C’est pourquoi la nécropole nationale de la Doua, dans cette logique-là, participe chaque année depuis sa création en 2016 au Printemps des cimetières. Par ailleurs, sous la responsabilité du Mémorial de la Prison de Montluc et parfois avec le relai du Rize, la valorisation du cimetière se poursuit à travers des visites guidées pour faire connaître ce haut-lieu de mémoire.




Notes

[1] Archives municipales Lyon (AML) 1025WP30, Rapport pour le Maire Édouard Herriot, 27 octobre 1945.

[2] Au fil des années d’autres cimetières sont concernés par le projet dans les départements de l’Ain, de l’Ardèche, de la Drôme, de l’Isère, de la Savoie, de la Saône-et-Loire, des Basses-Pyrénées, Pyrénées Atlantiques, ainsi que le cimetière communal de Cusset à Villeurbanne.

[3] Le terrain appartient pour les quatre cinquièmes à l’autorité militaire et pour le reste à la Ville de Lyon et au Service Radioélectrique du ministère des Postes, Télégraphes et Téléphones.

[4] Cela concerne l’enquête géologique, l’accord du Conseil départemental d’hygiène du Rhône, l’accord de la direction de l’urbanisme et habitation de Lyon et l’accord des autorités militaires locales.

[5] Ministère des Anciens Combattants et victimes de Guerre, Délégation à la mémoire et à l’information historiques : Atlas des nécropoles nationales, Paris, la Documentation française, 1994, p. 3.

[6] Belges, Italiens, Polonais, Russes, Serbes, Roumains, Tchécoslovaques, Grecs, Allemands, Australiens, Britanniques, Canadiens, Espagnols, Néo-zélandais, Yougoslaves, Marocains, Tunisiens.

[7] BIRABEN Anne, Les cimetières militaires en France, Paris, Éditions l’Harmattan, 2005, p. 202.


Bibliographie

BIRABEN Anne, Les cimetières militaires en France, Paris, Éditions l’Harmattan, 2005.

Ministère des Anciens Combattants et victimes de Guerre, Délégation à la mémoire et à l’information historiques : Atlas des nécropoles nationales, Paris, la Documentation française, 1994.


Sources

Archives municipales Lyon (AML) 1025WP30, Rapport pour le Maire Édouard Herriot, 27 octobre 1945.

Archives Municipale de Villeurbanne, le Rize, 2H3, 1954.

Cimetière militaire de la Doua, NNRA3, 1954.

AD69, 3788W873, 1944.


Mots-clés : Monument urbain
Thèmes : Histoire

Localisation

Sélectionnez un thème
Sélectionnez un mot-clé