L'attaque du fourgon transportant des tickets de rationnement, 1/2

Archives municipales de Villeurbanne / Le Rize.

 

Villeurbanne, le 27 janvier 1943

J'ai l'honneur de vous rendre compte que le 26 janvier 1944 à 7 h 50 le camion du service de ravitaillement de Villeurbanne transportant les caisses de tickets 0 'alimentation a été attaqué à l'angle de la Route de Vaulx et du Chemin des Buers par plusieurs individus qui sa sont emparés de ceux caisses de tickets destinées aux Bureaux de Cusset et de Jules Guesde.

Partis du Service Central de Ravitaillement, 46 Cours du Si!, avec 5 caisses de tickets pour les centres de distribution, Mairie, Lakanal, Croix-Luizet, Cusset et Jules Guesde, les deux gardes le chauffeur son aide et moi-même avons servi les trois premiers bureaux.

Nous avons quitte celui de Croix-Luizet pour nous rendre à Cusset lorsqu'à peine avoir effectué le virage angle Route de Vaulx et Chemin des Buers nous avons à nous arrêter une conduite intérieure étant stationnée au milieu de ce chemin. L'avant Ce notre camion se trouvait à quelques mètres de l'arrière Ce cette voiture lorsquede celle-ci - sortirent plusieurs individus armes de mitraillettes qui se portèrent rapidement à l'avant et sur les marchepieds du camion. Sommes de descendre, nous nous sommes exécutés après que la garde ait rendu son arme qu'il avait dégainée.

Alors que cette scène se déroulait à l'avant, l'arrière était également assailli par plusieurs individus sortis de l'urinoir situé à l'angle du Chemin des Buers. Sous la menace de plusieurs mitraillettes le garde dut se laisser désarmer.

Nous avons assisté au transport desdeuxcaisses de tickets qui furent placées dans le coffre arrière ce la conduite intérieure Citroën une 11 cv, probablement.

Nous tenant en joue de leurs armes les assaillants regagnèrent leur voiture qui s'éloigna en direction de Cusset.

Quant aux individus de l'arrière, ils partirent direction du Boulevard de Ceinture, mais nous ne pûmes les apercevoir que quelques mètres.

Par téléphone les gardes alertèrent les Services de Police de mon côté j'ai averti de suite M. SALAGNAC, Directeur du Service Ravitaillement.

 

D’un point de vue historique, ce document permet d’aborder de façon complémentaire à la traditionnelle présentation de reproduction de tickets de rationnement que l’on trouve dans tous les manuels scolaires, les raisons pour lesquelles la population ne peut trouver de nourriture dans les magasins. Ce n’est pas, comme en 1914, l’absence de la main d’œuvre masculine qui explique la pénurie, mais les conditions même de l’armistice de juin 1940 qui imposent le paiement d’indemnités et la livraison d’une partie de la production nationale aux occupants.

Il est aussi intéressant de montrer aux élèves que la Résistance, en 1944, a aussi besoin de nourrir ses troupes ainsi que les jeunes réfractaires du STO qui ont grossi les maquis proches de Lyon.

La question de la légitimité de ces actes est à poser. Un travail en éducation civique peut ainsi être fait en faisant réfléchir les élèves sur la question de la légitimité de la résistance et du droit à la révolte. Pour les troupes d’occupation, pour les autorités, et même pour certains civils qui vont se voir privés de tickets et donc de possibilité de ravitaillement, cette action est un acte de délinquance, un vol. Le fonctionnaire qui raconte la scène le fait de la façon la plus neutre possible. Il montre qu’il s’agit d’un guet-apens, que tout a été soigneusement préparé, que les « individus » (ni le terme de « bandits », ni celui de « résistant » ne sont utilisés) menacent les employés d’une arme, mais ne cherchent pas à en faire usage, même pour tirer en l’air. Ils sont renseignés, connaissent l’heure de passage du camion, son itinéraire précis et son contenu exact. Il est vraisemblable qu’ils ont des complices à la Mairie elle-même.

Pour les résistants, la légitimité de leur action ne fait pas de doute : la production française doit servir à nourrir la population française, leur lutte est une lutte de libération nationale et une lutte pour recouvrer les libertés confisquées par l’occupation nazie.