Ce qui s'est passé dans notre famille pendant la guerre

Témoignage d'Anna Doussot. Extrait de "Quand les Villeurbannais racontent leur ville" n°11 : "1934-1994 - Les Gratte-ciel ont soixante ans", mai 1994.

Le frère aîné de maman, mobilisé, au front depuis le début, est rentré, dans sa famille à la campagne, à pied, renvoyé par l'armée, pour cause de maladie respiratoire et cardiaque, contractée à la guerre.

1915 : un autre frère de maman, avait sa permission dans sa poche pour revenir passer quelques jours auprès de sa jeune épouse et de ses deux petites filles. Mais à ce moment, on ne quittait pas les premières lignes, sans rapporter quelques éclats d'obus, pour faire des bagues. Il voulut faire comme tous. C'est là que la destinée l'attendait, lui qui avait tant lutté, reçut un éclat d'obus et mourut sur place.

Un autre de maman mourut chez lui, des suites d'une maladie pulmonaire contractée au front.

Le frère de mon père fut blessé et dut être trépané.

Quant à mon père, les autorités militaires l'avaient refusé, pour varices trop dangereuses, contractées certainement lorsqu'il était trop jeune pour effectuer son travail de meunier. Il avait porté des charges trop lourdes (sacs de blé ou de farine). Il souffrait beaucoup de cet état qui le faisait traiter d'embusqué par les gens qui ignoraient. Il a reçu beaucoup de convocations, s'est toujours présenté, mais a toujours été refusé. Le risque était trop grand, il ne pouvait pas rester debout longtemps, ses jambes se piquetaient de rouge, malgré ses bas à varices. Au fond de lui, il aurait préféré être au milieu de ses semblables que de se sentir militairement inutile. Pour un homme, à ce moment, c'était une grande déception.

Les femmes de ce temps-là étaient très souvent vêtues de noir. Le deuil était entré dans presque toutes les familles.

Les chaussures manquaient. La mairie de Villeurbanne en était arrivée, à distribuer des bons de galoches et de tabliers de classe, pour les familles ayant plusieurs enfants.

A la sortie de la classe, je suis allée souvent faire la queue, à la boulangerie de la rue Pierre Baratin. Le pain n'était pas bon, mais il fallait s'en contenter. Le sucre était rare et a été remplacé plus tard par de la saccharine.

Il y avait aussi le chauffage. Nous allions glaner les déchets de charbon, à l'usine électrique du canal, vers l'ancien cimetière de Cusset.

Un beau jour vint enfin, ce 11 novembre 1918.

J'étais à l'école, rue Frédéric Faÿs. Je crois qu'il était vers onze heures du matin. On nous a annoncé que l'Armistice était signée. Cette fois c'était la joie, la vraie, mais j'ai vu beaucoup de pleurs. C'était en pensant à ceux qui ne reviendraient pas.

La vie a recommencé, mais les privations n'étaient pas finies. Tant pis, on s'arrangerait ; cela ne pouvait aller que mieux.