Accueil > Consultation > Encyclopédie > Rafle du 1er mars 1943
Le 1er mars 1943, les troupes d’occupation allemande mènent à Villeurbanne une grande rafle de civils qui aboutit à l’arrestation de 300 personnes, dont plus de 130 partiront vers le camp de concentration de Mauthausen.
Après s’être trouvée dans un premier temps en zone libre, la ville de Villeurbanne est, comme tout le reste du territoire, occupée par les troupes allemandes à partir du 11 novembre 1942.
Avec la prolongation et l’intensification du conflit, l’Allemagne manque désormais de main d’œuvre pour faire fonctionner correctement son industrie de guerre. N’ayant pu obtenir les bras qui lui manquent sur la base du volontariat, le Reich réquisitionne désormais par la force dans les pays occupés, les travailleurs dont il a besoin. Par un décret du 14 décembre 1942, Heinrich Himmler, chef de la police allemande, exige des différents organismes policiers au sein du Reich et dans les territoires occupés, l’envoi dans les camps nazis avant fin janvier 1943, puis fin juin 1943, de 35 000 « détenus aptes au travail ».
Prenant prétexte de nombreux actes de résistance commis à Villeurbanne, les troupes d’occupation organisent une grande rafle d’hommes en âge de travailler. Celle-ci a lieu le lundi 1er mars 1943 et se déroule dans un quartier ouvrier, -celui des usines Gillet, notamment- défini par les voies suivantes : cours Émile-Zola, boulevard Eugène-Réguillon, route de Crémieu, place de l’Hôtel-des-Postes (actuelle place Grandclément), rue Antonin-Perrin, avenue Auguste-Blanqui. Dès les premières heures de la journée, la Gestapo, aidée de la Feldgendarmerie et de la Waffen-SS, fait boucler le périmètre prédéfini. Elle fait fouiller les appartements et arrête les hommes dans la rue alors qu’ils se rendent au travail. Au total, 300 personnes âgées de 16 à 60 ans sont raflées puis emmenées dans un premier temps au café Jacob[1]. Après un contrôle d’identité, la Gestapo ne retient que 150 hommes qui sont ensuite rassemblés dans la cour de l’école voisine de l’Immaculée Conception[2]. Sur place, certains parviennent à s’échapper. En fin de journée, vers 17 heures, ce sont finalement 138 personnes qui sont emmenées à la gare de Villeurbanne. A la nuit tombée, ils partent dans des wagons à bestiaux pour le camp de Compiègne[3]. Six d’entre eux s’évadent entre Lyon et Compiègne.
Les 138 hommes qui quittent Villeurbanne dans la nuit du 1er au 2 mars 1943 ont entre 17 et 52 ans[4]. Dans leur très grande majorité, ils sont de nationalité française sauf quatre Polonais, deux Espagnols, un Russe et un Tchèque. Ils sont aussi majoritairement de religion catholique. On compte néanmoins parmi ces 138 hommes deux personnes de confession juive, un musulman, un protestant et un chrétien orthodoxe[5].
Les raflés sont internés dans le camp de Compiègne pendant un mois et demi. Durant cette période, les deux hommes de nationalité espagnole sont libérés, vraisemblablement en raison des bonnes relations que l’Allemagne hitlérienne souhaite entretenir avec l’Espagne franquiste[6].
Dès leur arrestation, le maire de Villeurbanne, Paul Chabert, cherche sans relâche à obtenir des informations sur le sort des raflés et leur libération. A ce titre, une délégation municipale rencontre les représentants des autorités allemandes locales, puis du régime de Vichy, mais en vain. Elle sera néanmoins autorisée à se rendre à Compiègne pour rencontrer les prisonniers et finira par obtenir le droit pour les familles de leur faire parvenir des colis et du courrier. En outre, un comité d’aide aux victimes est mis en place par deux jeunes résistants chrétiens, Francis Chirat et Andrée Brevet, afin de soutenir les familles des raflés.
Fin avril, les raflés villeurbannais quittent Compiègne par le train. Les deux hommes de confession juive sont dirigés vers le camp d’internement de Drancy, ensuite orientés vers les camps d’extermination nazis. Les autres rejoignent directement les camps de concentration. Pour certains, ce sera celui de Buchenwald, en Allemagne. Mais pour la grande majorité, c’est vers le camp de Mauthausen[7] qu’ils sont acheminés. Ils restent quelques mois dans le camp central de Mauthausen puis sont expédiés dans l’un des 33 camps de travail, les « Kommandos » situés autour du camp central.
Sur les 138 Villeurbannais identifiés[8] par Hubert Jannon, qui partent de Compiègne fin avril 1943, 45 meurent dans les camps. 73 survivent à leurs conditions de détention et peuvent regagner la France à partir de mai 1945. 15 d’entre eux décèdent dans les quatre mois suivant leur libération.
Par délibération du 12 février 1951, afin de rendre hommage aux raflés, la municipalité de Lazare Goujon attribue le nom de « rue du-1er-mars-1943 » à la section de la rue Flachet comprise entre le cours Émile-Zola et le cours Tolstoï. Inauguré le 5 mars 1979, un monument, œuvre de Cyrille Troisgros, installé au square des Déportés, rue Léon-Blum, devient le site de la commémoration annuelle : il figure un déporté du camp de Mauthausen portant une pierre. En 2003, à l’occasion du 60e anniversaire de la rafle, une plaque commémorative est apposée à l’entrée de la gare de Villeurbanne et c’est le 1er mars 2015, dans la cour de l’école de l’Immaculée Conception, qu’est inaugurée une plaque rappelant les circonstances de la rafle.
[1] Ce café, aujourd’hui disparu, faisait l’angle entre la place Grandclément et le boulevard Eugène Réguillon.
[2] 74 place Grandclément à Villeurbanne.
[3] Appelé aussi « Camp de Royallieu », il a été installé par les autorités allemandes en juin 1941. Il a pour vocation de servir de camp de transit pour ses prisonniers vers les camps de concentration et d’extermination nazis.
[4] Pour l’essentiel cependant, ils ont entre 20 et 30 ans.
[5] La religion des 8 personnes restantes est inconnue.
[6] Selon plusieurs sources, un Français a aussi été relâché, mais nous n’avons pu obtenir d’informations sur son identité ni les raisons de sa libération.
[7] Mauthausen est le nom d’un camp autrichien réservé aux opposants politiques du IIIe Reich. Classé Lagerstuffe III, il est l’un des plus durs et des plus meurtriers du système concentrationnaire nazi.
[8] Hubert Jannon est l’auteur d’un patient travail d’identification de chacun des raflés intitulé Villeurbanne : la rafle 01 mars 1943, éditions Bellier, 2015, 161 p.).
JANNON (Hubert), Villeurbanne, la rafle 01 mars 1943, éd. Bellier, 2015, 161 p. (cote AMV 2C1416)
AVET (Marcel), La rue se souvient, Ville de Villeurbanne (1997), 95 p. (cote AMV : 2C1407 )
Vivre à Villeurbanne, devenu Viva, magazine municipal :
« Jamais l’oubli : entretien avec Cyrille Troisgros », Vivre à Villeurbanne, mars 1979, n° 7, p.9.
« Rafle du 1er mars 1943 : Se souvenir, toujours et encore », Viva, mars 2002, n° 154, p.5.
« Recueillir notre histoire », Viva, avril 2002, n° 155, p.5, 14.
« Une date : le 1er mars 1943 », Viva, février 2003, n° 163, p.6-7.
Maxi Viva, hors-série, mars 2003, p.21.
« 1er mars 1943 : leur jour le plus long », Viva, mars 2003, n° 164, p. 6-7, 12.
« Parce que c’était la guerre, parce que c’était la paix », Viva, avril 2003, n° 165, p.6.
« A l’aube du 1er mars 1943 », Viva, avril 2004, n° 175, p.4.
« Roger Ripoll, sa leçon d’humanité », Viva, mars 2005, n° 184, p.6.
- La rafle du 1er mars 1943, sur le site de l’ANACR du Rhône (lien : http://www.anacr-rhone.fr/86+la-raffle-du-1er-mars-1943-a-villeurbanne.html)
- Témoignage de Louis Croppi, l’un des derniers survivants de la rafle du 1er mars 1943, sur le site de Viva Interactif (lien : http://www.viva-interactif.com/temoignage_louis_croppi_02.html)
- 5H24 : Documents divers et correspondance concernant l’arrestation de 150 Villeurbannais par les Allemands à titre de représailles.
- NC9 : "Souvenirs de paroissiens, église de la Nativité de la Sainte Vierge" : recueil de documents (photographies, textes, plaquettes) réalisé par Marcel et Simone Excler, Conseil de quartier Perralière-Grandclément (2009). [Ces documents ont été rassemblés pour la bibliothèque des Archives, sous la cote 2C506. Se reporter en particulier aux témoignages de Roger Ripoll et Thomas Zaplana, tous deux raflés le 1er mars 1943.]
- « Récit de la déportation à Mauthausen et à Dachau de Louis Croppi, rescapé de la rafle du 1er mars 1943 : entretien réalisé avec sa fille Isabelle Cosialls (janvier 2005) », ville de Villeurbanne, 24 p.