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Villa Lafont

La villa Lafont, ou villa La Ferrandière, au n° 40 de la rue du 4-septembre-1797, dans le quartier de la Ferrandière, est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis le 29 avril 1991. Réalisée à l’initiative de l’industriel lyonnais Adolphe Lafont, elle est conçue entre 1921 et 1925 par le Bureau Technique de Construction. L’imbrication de tendances anciennes et modernes dans sa conception en fait aujourd’hui une curiosité architecturale unique.

Villa Lafont, carte postale (2Fi121)
Photo de la villa Lafont juste après la construction. Archives de M. Lelièvre, le fils de l’ingénieur concepteur du bâtiment, Léon Lelièvre.
plan schématique de la villa élaboré par A.-S. Clemençon à partir des plans de 1921.

Auteur(s) : Sandrine Madjar, historienne de l'art

La famille Lafont

Au début du 20e siècle, la famille Lafont est propriétaire d’une importante entreprise de textile dont l’origine remonte au début du 19e siècle. À la mort de son père, Adolphe Lafont (1870-1952) reprend l’affaire familiale et l’oriente vers la fabrication de vêtements de travail. Il dépose en 1896 la marque « Adolphe Lafont-Lyon » [1]et le 7 mai de la même année épouse Pauline Falb qui le soutient activement dans le développement de son entreprise.

En 1904, Adolphe Lafont agrandit son entreprise en construisant une usine Grande-rue de Monplaisir[2], à Lyon. Dès 1911, il acquiert un terrain mitoyen afin d’ériger une seconde usine. La même année, il achète à Villeurbanne une teinturerie, au n° 22 de la rue Sainte-Pauline[3], qui restera fermée entre 1914 et 1920, en raison de la pénurie de coton. Parallèlement, il crée à Lyon la technique du velours de coton côtelé.

En 1919, Adolphe Lafont fait l’acquisition de 20 000 m² de terrain, rue de la Cité [4] à Villeurbanne, afin d’implanter une nouvelle usine de tissage de 6 000 m² pouvant accueillir 400 métiers[5]. Le couple, qui habite alors dans un appartement cours Gambetta, à Lyon, avec sa fille unique Marcelle (1905-1982), prévoit, sur le même lieu, la construction d’une villa avec jardin attenante à l’usine, comme c’est l’usage à l’époque.

Une conception d’ingénieurs

La villa moderne, symbole de réussite sociale et économique, apparaît dès le 19e siècle avec le développement urbain et l’émergence d’une classe moyenne. C’est dans la période difficile de l’entre-deux-guerres qu’Adolphe et Pauline Lafont font édifier leur maison. Parallèlement, la mise au point du béton armé [6] offre de nouvelles perspectives pour les ingénieurs et les architectes. Les techniques de construction qui évoluent depuis le début du 20e siècle conduisent à une redéfinition de l’esthétique et du vocabulaire architectural.

Adolphe Lafont confie en 1920 l’aménagement du terrain à des constructeurs industriels. Le Bureau Technique de Construction, fondé après la première Guerre Mondiale par les ingénieurs Léon Lelièvre (1878-1938) et Léon Barbier (1849-1930), est en charge de ce vaste programme. Regroupant plusieurs techniciens du bâtiment, il est l’un des premiers bureaux de la région lyonnaise spécialisés dans le béton armé.

Madame Lafont collabore étroitement à l’élaboration de la villa dont les plans et dessins sont dressés en 1921. Elle oriente et influence les concepteurs dans leur choix, ce qui les amène à édifier une architecture aux tendances éclectiques. La construction de la villa est achevée en 1925[7].

Une villa en béton armé

La villa Lafont adopte un plan géométrique rectangulaire de 14 m sur 17 m. Elle est orientée nord-sud dans le sens de la longueur. Le gros-œuvre est entièrement réalisé en béton armé laissé brut de décoffrage. Les qualités qu’offre ce matériau permettent de coiffer l’édifice d’un toit-terrasse.

Chaque élévation de 8, 85 m de haut possède une configuration qui lui est propre avec des bow-windows occasionnant des décrochements en façade. Les angles présentent des pans coupés, excepté l’angle sud-ouest qui comprend une tourelle avec une pergola, en réponse à celle surplombant l’entrée principale.

Elle est dotée de caves et d’un sous-sol semi enterré, surmonté d’un étage rehaussé par rapport au niveau du sol. Des claustras ceinturent le toit-terrasse végétalisé et ajoutent un élément de décor en façade.

L’élévation montre une architecture fermée sur elle-même, en déconnexion avec le jardin, configuration souvent présente dans l’Art nouveau. L’unique porte d’entrée établit le lien avec l’extérieur. La villa et le jardin aménagé en roseraie sont clôturés par un mur réalisé en béton surmonté de claustras aux motifs Art déco[8]. La face intérieure du mur est recouverte d’un treillage décoratif.

Une distribution intérieure ouverte

La conception intérieure de la villa Lafont s’éloigne des distributions traditionnelles et répond à un mode de vie nouveau. Le sous-sol accueille une buanderie, un appartement destiné aux domestiques et un garage occupant toute la largeur de l’édifice.

À l’étage, la villa s’ouvre sur un vaste hall carré éclairé par une verrière zénithale. Il constitue le cœur de l’édifice autour duquel s’articulent la cuisine-salle à manger, les chambres, la salle de bain et un cabinet de travail. Cette configuration permet l’absence de couloir. Le hall qui est un lieu de passage adopte également les fonctions de séjour et de réception. La cuisine et la salle à manger forment désormais un seul espace.

La distribution ouverte de la villa l’a fait qualifier de « maison sans porte ». L’organisation est à la fois inspirée des villas de la Renaissance italienne et de la maison antique romaine. Ainsi, le hall délimité par quatre colonnes doriques reprend la fonction de l’atrium. L’impluvium[9] devient un bassin rectangulaire rejeté sur le côté ouest de la villa pour faciliter la circulation. La verrière surplombant le hall est une référence au compluvium[10].

Un décor pompéien

Madame Lafont est admirative des villas pompéiennes qu’elle a visitées au cours d’un voyage en Italie. Cette fascination l’amène à intégrer au sein de sa villa un décor d’inspiration italienne.

La décoration intérieure est réalisée par l’association d’artistes souvent d’origine italienne. La frise peinte par R. Burretta, les bas-reliefs de Cavina, le décor de marbres polychromes d’Ernesto Giavina, s’inspirent directement de l’iconographie pompéienne. Les nombreuses ouvertures laissent place aux vitraux et vitres gravées réalisés entre autre par J. Mayosson et J. Gruber. Ils représentent pour la plupart des paysages de Pompéi à la nature stylisée et forment écran avec l’extérieur selon les caractéristiques de l’Art nouveau.

Des aménagements innovants

La maison est pensée comme un ensemble, depuis le gros-œuvre jusqu’aux luminaires et poignées de portes dessinés par les concepteurs. Suivant les principes de l’Art nouveau[11], une partie du mobilier est intégrée dans le gros-œuvre de la villa. Les banquettes, tête de lit, placards et bacs à fleur sont réalisés en béton recouvert d’un placage et font partie intégrante de la construction. L’aération générale est également intégrée au sein des murs et les radiateurs sont occultés sous les banquettes.

L’aménagement de la villa intègre les dernières innovations techniques de l’époque telles qu’un monte-charge, un vide-ordures, un garde-manger, une gaine de ventilation, une salle de bain, un chauffage central et un arrosage intégré pour la végétation. L’habitation est à l’origine reliée à l’usine par un circuit électrique, une distribution d’eau et un souterrain.

Des influences architecturales éclectiques

La villa Lafont est le reflet d’une réflexion architecturale et d’une collaboration fructueuse entre les différents intervenants désireux d’édifier une maison fonctionnelle et innovante. La conception de la villa par des ingénieurs industriels permet l’intégration d’éléments techniques au sein de l’habitat particulier.

Cette architecture aux styles multiples met en avant les qualités et la plasticité qu’offre le béton armé généralement destiné aux constructions industrielles. Il sera le matériau de prédilection des architectes du mouvement moderne[12] représenté en France par Le Corbusier (1887-1965). L’utilisation du béton armé ainsi que la présence de bow-windows, de pergolas et d’un toit-terrasse montrent l’influence du style architectural de Tony Garnier (1869-1948) dans les dessins de la Cité Industrielle. Ces éléments ont longtemps fait attribuer, à tort, la réalisation de cette villa à ce dernier.

Elle témoigne d’un langage architectural éclectique qui préfigure le modernisme associé aux tendances empruntées à l’Art nouveau, à la Renaissance italienne et à l’Antiquité romaine.

 La villa Lafont aujourd’hui

La villa Lafont, propriété privée, est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques de même que l’hôtel de ville de Villeurbanne. L’arrêté du 29 avril 1991 protège la villa, le jardin et le mur de clôture dont les claustras Art déco ont disparu. Le terrain, sur lequel était construite l'usine attenante, a été racheté par la COURLY[13] pour la reconstruction du collège Louis Jouvet inauguré en 1981. Pauline Lafont a donné à la Ville en 1929 une partie de ses terrains pour en faire un jardin d'enfants, intitulé Jardin des tout-petits Adolphe Lafont.

La villa témoigne de l’importante activité industrielle à Villeurbanne au cours de la première moitié du 20e siècle. Ses qualités architecturales sont également reconnues par l’attribution du label Patrimoine du XXe siècle[14] qui lui a été décerné le 10 mars 2003.




 

 

 

 


Notes

[1] Première marque déposée en France pour un vêtement de travail.

[2] Actuelle avenue des Frères-Lumière

[3] Actuelle rue du 24-février-1848

[4] Actuelle rue du Docteur-Dolard

[5] Navrot (Jacques), « La Saga des Lafont », Rive Gauche, n° 164, mars 2003, p. 22.

[6] Le béton armé est inventé au cours de la seconde moitié du 19e siècle. Ce n’est qu’au 20e siècle que se propage son usage.

[7] Clémençon (Anne-Sophie), « Une villa d’ingénieur à Villeurbanne en 1921 », La Revue de l’Art, 1980, n° 47, p. 97.

[8] Mouvement artistique du début du 20e siècle dont les lignes géométriques s’opposent aux formes courbes de l’Art nouveau

[9] Impluvium : bassin creusé dans le sol de l'atrium de la maison romaine pour recueillir les eaux du compluvium.

[10] Compluvium : terme latin pour désigner une ouverture dans le toit destinée à recueillir les eaux de pluie.

[11] Courant architectural qui s’est développé entre 1895 et 1905 avant d’être relayé par le mouvement moderne. L’Art nouveau est caractérisé par une remise en cause de l’architecture classique qui le précède et tire son inspiration des formes courbes de la nature.

[12] Mouvement architectural émergeant en Allemagne en 1919 sous l’impulsion de l’architecte Walter Gropius et de son école du Bauhaus. Il se caractérise par un style dépouillé dont les éléments architecturaux sont produits en série afin de rendre accessible à la classe populaire des logements confortables et fonctionnels.

[13] COmmunauté URbaine de LYon.

[14] Le label Patrimoine XXe siècle, créé en 1999 à l’initiative du Ministère de la culture et de la communication, signale les conceptions architecturales et ensembles urbains édifiés au 20e siècle dont l’intérêt justifie de les transmettre aux générations futures.

 


Bibliographie

Beaufort (Jacques), L’architecture à Lyon : Tome II-Lyon et le grand Lyon des XIXe et XXe siècles, Saint-Julien Molin Molette, Jean-Pierre Huguet Éditeur, 2001, 308 p.

Béghain (Patrice), Benoit (Bruno), Corneloup (Gérard) et Thévenon (Bruno), Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, Éditions Stéphane Bachès, 2009, 1504 p. (cote AMV 2C2282)

Bazin (M.-J.), « La Famille Adolphe Lafont », Rive Gauche, juin 1986, n° 97, p. 15-17.

Clémençon (Anne-Sophie), « Une villa d’ingénieur à Villeurbanne en 1921 », La Revue de l’Art, 1980, n° 47, p. 90-97.

Navrot (Jacques), « La Saga des Lafont », Rive Gauche, mars 2003, n° 164, p. 20-24.


Sources

archives municipales de Villeurbanne

5J294 : casier sanitaire de la rue du 4 septembre 1797 : plans (1921)

Source imprimée :

Clémençon (Anne-Sophie), « Une villa d’ingénieur à Villeurbanne en 1921 », La Revue de l’Art, 1980, n° 47, p. 97.

Cet article publié par l’historienne de l’architecture Anne-Sophie Clémençon est la première publication scientifique sur la villa Lafont, appelée aussi « La Ferrandière ». Grace aux archives du Bureau d’hygiène de Villeurbanne et, surtout, à celles de M. Lelièvre, le fils de l’un des ingénieurs du Bureau Technique de Construction, Léon Lelièvre, elle redonne la véritable identité des constructeurs de cette villa, alors faussement attribuée au célèbre architecte Tony Garnier. Un des rares bâtiments protégé au titre des Monuments historiques à Villeurbanne, cette villa constitue un patrimoine exceptionnel. Elle est à la fois très contemporaine, même d'avant-garde (béton brut, toit terrasse, école de T. Garnier), et archaïque (influencée par les villas romaines dans la distribution et le décor...). La figure de Mme Lafont, la véritable commanditaire de la villa, est très intéressante. Cette villa a toute sa place dans la riche histoire architecturale de l’agglomération entre les deux guerres. Elle est à resituer dans la production des nombreuses villas construites alors, et tout particulièrement les quatre villas conçues par Tony Garnier à Lyon et dans les Monts d’or. Elle est bien sûr à replacer aussi dans le contexte villeurbannais de l’époque et, en premier lieu, la construction du célèbre ensemble des Gratte-Ciel.

Webographie

Base Mérimée, Villa dite Villa Lafont, 1992, Ministère de la Culture et de la Communication : Architecture et Patrimoine, document en ligne, consulté le 2015-06-09, <http://www.inventaire.culture.gouv.fr/public/mistral/merimee_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_4=AUTR&VALUE_4=peintre&NUMBER=97&GRP=5&REQ=((peintre)%20%3AAUTR%20)&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=3&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=1&MAX3=100&DOM=Tous>.


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