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Consultation

Rafle du 1er mars 1943

Le 1er mars 1943, les troupes d’occupation allemande mènent à Villeurbanne une grande rafle de civils qui aboutit à l’arrestation de 300 personnes, dont plus de 130 partiront vers le camp de concentration de Mauthausen.

Le café Jacob, marqué d'une croix, premier lieu de rassemblement des raflés
Quelques survivants rescapés, en 2003, sur le quai de la Gare de Villeurbanne, photo Michallet
Square des Déportés, rue Léon Blum, photo Michallet

Auteur(s) : Sébastien Larzillière, archiviste

A l’origine de la rafle : la réquisition forcée de la main d’œuvre dans les pays occupés par l’Allemagne

   Après s’être trouvée dans un premier temps en zone libre, la ville de Villeurbanne est, comme tout le reste du territoire, occupée par les troupes allemandes à partir du 11 novembre 1942.

   Avec la prolongation et l’intensification du conflit, l’Allemagne manque désormais de main d’œuvre pour faire fonctionner correctement son industrie de guerre. N’ayant pu obtenir les bras qui lui manquent sur la base du volontariat, le Reich réquisitionne désormais par la force dans les pays occupés, les travailleurs dont il a besoin. Par un décret du 14 décembre 1942, Heinrich Himmler, chef de la police allemande, exige des différents organismes policiers au sein du Reich et dans les territoires occupés, l’envoi dans les camps nazis avant fin janvier 1943, puis fin juin 1943, de 35 000 « détenus aptes au travail ».

Le déroulement de la journée du 1er mars 1943

  Prenant prétexte de nombreux actes de résistance commis à Villeurbanne, les troupes d’occupation organisent une grande rafle d’hommes en âge de travailler. Celle-ci a lieu le lundi 1er mars 1943 et se déroule dans un quartier ouvrier, -celui des usines Gillet, notamment- défini par les voies suivantes : cours Émile-Zola, boulevard Eugène-Réguillon, route de Crémieu, place de l’Hôtel-des-Postes (actuelle place Grandclément), rue Antonin-Perrin, avenue Auguste-Blanqui. Dès les premières heures de la journée, la Gestapo, aidée de la Feldgendarmerie et de la Waffen-SS, fait boucler le périmètre prédéfini. Elle fait fouiller les appartements et arrête les hommes dans la rue alors qu’ils se rendent au travail. Au total, 300 personnes âgées de 16 à 60 ans sont raflées puis emmenées dans un premier temps au café Jacob[1]. Après un contrôle d’identité, la Gestapo ne retient que 150 hommes qui sont ensuite rassemblés dans la cour de l’école voisine de l’Immaculée Conception[2]. Sur place, certains parviennent à s’échapper. En fin de journée, vers 17 heures, ce sont finalement 138 personnes qui sont emmenées à la gare de Villeurbanne. A la nuit tombée, ils partent dans des wagons à bestiaux pour le camp de Compiègne[3]. Six d’entre eux s’évadent entre Lyon et Compiègne.

Le profil des raflés

   Les 138 hommes qui quittent Villeurbanne dans la nuit du 1er au 2 mars 1943 ont entre 17 et 52 ans[4]. Dans leur très grande majorité, ils sont de nationalité française sauf quatre Polonais, deux Espagnols, un Russe et un Tchèque. Ils sont aussi majoritairement de religion catholique. On compte néanmoins parmi ces 138 hommes deux personnes de confession juive, un musulman, un protestant et un chrétien orthodoxe[5].  

L’internement au camp de Compiègne et l’action de la municipalité de Villeurbanne

   Les raflés sont internés dans le camp de Compiègne pendant un mois et demi. Durant cette période, les deux hommes de nationalité espagnole sont libérés, vraisemblablement en raison des bonnes relations que l’Allemagne hitlérienne souhaite entretenir avec l’Espagne franquiste[6].

   Dès leur arrestation, le maire de Villeurbanne, Paul Chabert, cherche sans relâche à obtenir des informations sur le sort des raflés et leur libération. A ce titre, une délégation municipale rencontre les représentants des autorités allemandes locales, puis du régime de Vichy, mais en vain. Elle sera néanmoins autorisée à se rendre à Compiègne pour rencontrer les prisonniers et finira par obtenir le droit pour les familles de leur faire parvenir des colis et du courrier. En outre, un comité d’aide aux victimes est mis en place par deux jeunes résistants chrétiens, Francis Chirat et Andrée Brevet, afin de soutenir les familles des raflés.

La déportation vers les camps de concentration nazis

  Fin avril, les raflés villeurbannais quittent Compiègne par le train. Les deux hommes de confession juive sont dirigés vers le camp d’internement de Drancy, ensuite orientés vers les camps d’extermination nazis. Les autres rejoignent directement les camps de concentration. Pour certains, ce sera celui de Buchenwald, en Allemagne. Mais pour la grande majorité, c’est vers le camp de Mauthausen[7] qu’ils sont acheminés. Ils restent quelques mois dans le camp central de Mauthausen puis sont expédiés dans l’un des 33 camps de travail, les « Kommandos » situés autour du camp central.

  Sur les 138 Villeurbannais identifiés[8] par Hubert Jannon, qui partent de Compiègne fin avril 1943, 45 meurent dans les camps. 73 survivent à leurs conditions de détention et peuvent regagner la France à partir de mai 1945. 15 d’entre eux décèdent dans les quatre mois suivant leur libération.

Les commémorations

Par délibération du 12 février 1951, afin de rendre hommage aux raflés, la municipalité de Lazare Goujon attribue le nom de « rue du-1er-mars-1943 » à la section de la rue Flachet comprise entre le cours Émile-Zola et le cours Tolstoï. Inauguré le 5 mars 1979, un monument, œuvre de Cyrille Troisgros, installé au square des Déportés, rue Léon-Blum, devient le site de la commémoration annuelle : il figure un déporté du camp de Mauthausen portant une pierre. En 2003, à l’occasion du 60e anniversaire de la rafle, une plaque commémorative est apposée à l’entrée de la gare de Villeurbanne et c’est le 1er mars 2015, dans la cour de l’école de l’Immaculée Conception, qu’est inaugurée une plaque rappelant les circonstances de la rafle.




Notes

[1] Ce café, aujourd’hui disparu, faisait l’angle entre la place Grandclément et le boulevard Eugène Réguillon.

[2] 74 place Grandclément à Villeurbanne.

[3] Appelé aussi « Camp de Royallieu », il a été installé par les autorités allemandes en juin 1941. Il a pour vocation de servir de camp de transit pour ses prisonniers vers les camps de concentration et d’extermination nazis.

[4] Pour l’essentiel cependant, ils ont entre 20 et 30 ans.

[5] La religion des 8 personnes restantes est inconnue.

[6] Selon plusieurs sources, un Français a aussi été relâché, mais nous n’avons pu obtenir d’informations sur son identité ni les raisons de sa libération.

[7] Mauthausen est le nom d’un camp autrichien réservé aux opposants politiques du IIIe Reich. Classé Lagerstuffe III, il est l’un des plus durs et des plus meurtriers du système concentrationnaire nazi.

[8] Hubert Jannon est l’auteur d’un patient travail d’identification de chacun des raflés intitulé Villeurbanne : la rafle 01 mars 1943, éditions Bellier, 2015, 161 p.).


Bibliographie

JANNON (Hubert), Villeurbanne, la rafle 01 mars 1943, éd. Bellier, 2015, 161 p. (cote AMV 2C1416)

AVET (Marcel), La rue se souvient, Ville de Villeurbanne (1997), 95 p. (cote AMV : 2C1407 )

 

Vivre à Villeurbanne, devenu Viva, magazine municipal :

« Jamais l’oubli : entretien avec Cyrille Troisgros », Vivre à Villeurbanne, mars 1979, n° 7, p.9.

   « Rafle du 1er mars 1943 : Se souvenir, toujours et encore », Viva, mars 2002, n° 154, p.5.

   « Recueillir notre histoire », Viva, avril 2002, n° 155, p.5, 14.

   « Une date : le 1er mars 1943 », Viva, février 2003, n° 163, p.6-7.

   Maxi Viva, hors-série, mars 2003, p.21.

   « 1er mars 1943 : leur jour le plus long », Viva, mars 2003, n° 164, p.  6-7, 12.

   « Parce que c’était la guerre, parce que c’était la paix », Viva, avril 2003, n° 165, p.6.

   « A l’aube du 1er mars 1943 », Viva, avril 2004, n° 175, p.4.

   « Roger Ripoll, sa leçon d’humanité », Viva, mars 2005, n° 184, p.6.

 

Sitographie

- La rafle du 1er mars 1943, sur le site de l’ANACR du Rhône (lien : http://www.anacr-rhone.fr/86+la-raffle-du-1er-mars-1943-a-villeurbanne.html)

- Témoignage de Louis Croppi, l’un des derniers survivants de la rafle du 1er mars 1943, sur le site de Viva Interactif (lien : http://www.viva-interactif.com/temoignage_louis_croppi_02.html)


Sources

Archives municipales de Villeurbanne

- 5H24 : Documents divers et correspondance concernant l’arrestation de 150 Villeurbannais par les Allemands à titre de représailles.

- NC9 : "Souvenirs de paroissiens, église de la Nativité de la Sainte Vierge" : recueil de documents (photographies, textes, plaquettes) réalisé par Marcel et Simone Excler, Conseil de quartier Perralière-Grandclément (2009). [Ces documents ont été rassemblés pour la bibliothèque des Archives, sous la cote 2C506. Se reporter en particulier aux témoignages de Roger Ripoll et Thomas Zaplana, tous deux raflés le 1er mars 1943.]

- « Récit de la déportation à Mauthausen et à Dachau de Louis Croppi, rescapé de la rafle du 1er mars 1943 : entretien réalisé avec sa fille Isabelle Cosialls (janvier 2005) », ville de Villeurbanne, 24 p.


Thèmes : Histoire

11 commentaires

  • Florence, 3 janvier 2018 à 13h00Répondre
    C'est avec émotion que je viens de lire votre article...je suis la petite fille de Pierre et Etiennette (alias Suzette) Jacob, qui étaient les propriétaires du Café Jacob. Cette journée du 1er Mars 1943 fait partie intégrante de l'histoire familiale et de la mémoire collective. Merci pour votre publication, nous ne devons pas oublier ces atrocités du passé afin de les prévenir dans l'avenir.
    • Pascal Viricel, 11 février 2019 à 15h19Répondre
      Bonjour Florence, c'est avec émotion que j'ai lu cet article et vu votre commentaire. Mon père Marcel Viricel, ami de Pierre, résistant, m'emmenait régulièrement dans le café Jacob quand j'étais petit (fin des années 60). J'ai un souvenir très vivace de vos grands parents qui étaient d'une gentillesse infinie, et offraient toujours des cacahuètes à l'enfant que j'étais. Je me souviens aussi que les discussions des adultes tournaient souvent autour des souvenirs de guerre. Je me permets de vous adresser mes amitiés et sachez que je pense de temps à temps à eux
  • meulder, 9 février 2019 à 17h43Répondre
    Mon pere Antoine MUNOZ a fait parti des personnes arretés le 1 mars 1943 on habitait 220 cours emile zola ,il est revenu des camps... décédé en 2001.
    • Juan Pedro, 10 août 2019 à 10h10Répondre
      Antonio, el hermano de mi abuela fue prisionero con tu padre Antonio. Ayer salió una lista de fallecidos en España y han puesto por error a tu abuelo. Escribeme a: jprodriguez@madridsur.uned.es
      Antonio, le frère de ma grand-mère était prisonnier avec ton père Antonio. Hier, une liste de personnes décédées en Espagne a été publiée et votre grand-père s'est trompé. Ecrivez-moi à: jprodriguez@madridsur.uned.es
  • jean torres, 20 février 2019 à 17h14Répondre
    Mon père Antoine TORRES a fait parti de tous ces malheureux du 1 mars 1943 il habitait rue persoz
    il est revenu de cet enfer, il est décédé en 1996 apres beaucoup de souffrances dans sa vie
  • Bernard Merle, 20 mai 2019 à 15h46Répondre
    Vos noms me sont tous connus et nous avons avons même fréquenté la même école avec Jean Torres dont le nom revenait souvent à la maison. Mon père a échappé à la rafle grâce à son père qui était ce que l'on nome un lève tôt et qui fut stoppé par les allemands à l'angle de la rue Camille Koechlin et du cours du Sud devenu Damidot alors qu'il allait comme chaque matin avant 6 heures chercher son journal chez Jardinaux cours Tolstoï. il a pu prévenir mon père qui encore au bénéfice de la nuit s'est caché derrière la paille des lapins au fond du jardin paternel. Cette rafle a été toujours bien présente dans la mémoire familiale je suis encore un des porteur de cette mémoire et mes parents étaient toujours lorsqu'ils étaient présents à Villeurbanne présent à la commémoration à l'angle de la rue du 1 er Mars et du cours Tolstoï. Je pense souvent que cette mémoire devrait être plus vive pour peut être rappeler à nous tous que nos soucis quotidiens sont insignifiants comparés à la souffrance de ceux qui ont vécu cette épreuve.
    Il n'y a pas de gradation dans la douleur, la détresse, mais certaines atrocités ne doivent pas s'oublier. Mon père était un copain d'enfance de Robert Lefert qui a été aussi déporté. lorsqu'il est rentré il était en tenue rayée et a interpelé mon père vers la place Grandclément qui ne l'a pas reconnu tellement il avait changé et était squelettique pour qu'il prévienne ses parents qu'il revenait et que la joie de le retrouver atténue le choc de son apparence.
  • Pedro, 31 octobre 2019 à 18h59Répondre
    Je suis le petit fils de Robert lefert malheureusement je n'ai pas eu la chance de le connaître
  • Titi, 4 février 2023 à 10h32Répondre
    Une plaque commémore l'événement à l'entrée du lycée Immaculée Conception au 74 place Granclément.
  • Alain, 3 mai 2023 à 20h26Répondre
    Ma mère avait 13 ans et passait par là pour aller et revenir de l'école, elle a été stoppée par un barrage de la police française qui l'a peut-etre sauvé. Une de ses camarades de classe du même age , du nom de Felice RUBIN est partie ce jour-là et est morte à Auschwitz. 15 ans.
  • Pierre, 5 mai 2023 à 23h56Répondre
    Mon père, 22 ans à l'époque, qui habitait le quartier m'a raconté que ce jour là , allant travailler , ils'est retrouvé place Grand Clement et s'est rendu compte que les allemands laissaient rentrer les gens sur la place mais les empêchaient d'en sortir .Connaissant l'église, il est rentré à l'intérieur et s'est enfui par une porte du presbytère. Il a plus tard été STO à Koenisberg ( mer Baltique), jusqu'en 1945 , après avoir pris le tifus et sauvé par des infirmières Russes , il est enfin rentré en France en juillet 1945 , 20kg de moins mais vivant ! .
  • Pierre-Jean, 5 février 2024 à 17h56Répondre
    Vos témoignages me touchent beaucoup. Je n'ai rien à voir avec le 1er mars 1943, j'habite seulement la rue éponyme. Quelqu'un saurait pourquoi le monument commémoratif a été placé précisément dans ce petit square du début de la rue L. Blum ? (plutôt que sur la place Grandclément elle-même par exemple)
    Merci

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