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Consultation

Les marchés de la place Grandclément

C’est le plus vieux marché de la commune encore en activité. Il a évolué jusqu’à aujourd’hui et les événements qui ponctuent ses constantes réécritures, manifestent une vivacité dont les récentes transformations constituent le dernier témoignage.

Affiche publique annonçant la création du marché de la mairie en 1892- 4F1 - AMV
Une page d’une pétition, l’importance de cette pièce est à signaler. Il s’agit de la seule pétition à l’origine d’un marché conservée aux Archives de la commune - 4F1- AMV
Carte postale début du XXe siècle, le marché de la place de la mairie - 2Fi 42- AMV
Actuelle jonction entre l'alimentaire et les forains – Photographie Pierre-Damien Laurent (2019)

Auteur(s) : Pierre-Damien Laurent, Historien

Une création en réponse à une pétition

Le marché, dit de la place de la Mairie, voit le jour par délibération municipale du 27 aout 1892[1] et s’installe dans un quartier marqué par la croissance démographique. Promu centre administratif communal depuis le départ des institutions de l’ancien bourg de Cusset, le site profite d’une attractivité résidentielle stimulée par la multiplication de l’implantation manufacturière. L’établissement d’un marché face à l’église de la Nativité, sur une place commerçante qui s’est structurée le long d’un axe de circulation prépondérant, l’ancienne route de Crémieu[2], ne doit par conséquent rien au hasard[3].

Sa création est l’effet d’une demande pressante des habitants. Matérialisée par une pétition de près d’un millier de signatures, elle met en évidence des besoins journaliers grandissants depuis la disparition du marché des Maisons Neuves[4]. Mais il s’agit aussi d’épargner à une population ouvrière croissante d’onéreux déplacements sans « recourir à des intermédiaires intéressés »[5]. Censé attirer les petits maraîchers des communes voisines et leur permettre un écoulement facile et régulier de leur production, le marché est ouvert les mardi, jeudi et dimanche de chaque semaine.

 

Rayonnement du marché villeurbannais

Bien achalandé et sujet à une rapide fréquentation des vendeurs, il rencontre un succès immédiat. La place, ombragée et déjà familière des buvettes, offre à la ville un lieu d’agrément et de sociabilité auquel la fonction d’approvisionnement de masse s’ajoute sans peine. Mais c’est une réussite qui doit vraisemblablement au report de la clientèle des marchés avortés, quartiers de la Cité et des Maisons Neuves[6]. Jusqu’à la fondation du marché des Charpennes en 1896, le marché de la Mairie occupe une place d’exclusivité dans l’approvisionnement non sédentaire en ville. A ce titre, il jouit d’un vaste rayonnement[7], qui excède la populeuse route de Crémieu ou le Cours Lafayette prolongé et va chercher sa clientèle jusqu’au quartier lyonnais voisin de Montchat[8]. Il faut attendre 1921, date de refondation d’un marché aux Maisons Neuves, pour voir surgir un concurrent géographique direct.

Ce succès inspire des projets complémentaires puisqu’un marché aux fourrages est créé en 1900. Inscrit dans une tentative de concurrence commerciale dirigée contre La Guillotière, il se tient stratégiquement le vendredi, la veille du grand marché lyonnais et mise sur une situation propice à intercepter le transit sur la route du Dauphiné [9].

 

Le marché où s’écrivent les règles

L’espace d’échange hebdomadaire qui s’étale aux pieds de la mairie ouvre un champ d’expérimentation d’une ampleur sans précédent. La réglementation doit s’adapter pour accompagner les besoins[10]. Ouverte initialement aux seuls « légumes, fruits et autres denrées alimentaires »[11], elle se diversifie rapidement : à la demande des marchands, elle intègre les bancs de boucherie, de café et de soupe qu’excluaient les délibérations d’origine. Ces derniers commerces, qui permettent aux vendeurs les plus indigents d’accéder officiellement à la profession, attirent les classes modestes de la clientèle.

Plus tard, en 1933, à l’occasion de sa refonte, le marché fait l’objet d’un règlement spécifique[12]. Dès lors il statue sur l’emplacement des bancs (qui ne peuvent être placés après 8h30 et empiéter sur le passage des piétons), la hauteur et la disposition des toiles abritant les étals, la prohibition des écriteaux étrangers à l’indication des prix et sur la spécificité de certaines denrées : régimes de bananes, gibier, saucissons, chèvres et agneaux, qui seuls peuvent être attachés et suspendus.

L’hygiène est identifiée très tôt comme un enjeu : à compter de 1900, des bouches d’arrosage sont installées pour le nettoyage de la place[13]. Plusieurs bornes fontaines destinées au lavage des denrées des poissonniers et des tripiers sont prévues en renfort en 1932[14]. En 1921, l’espace du marché alimentaire est asphalté pour faciliter l’entretien.

Le règlement cible aussi le trafic automobile qui s’accélère les jours de marché. Le chemin de La Gravière[15]absorbe une partie du stationnement, spécialement les véhicules encombrants du marché alimentaire. Mais les véhicules envahissent aussi irrégulièrement le boulevard de la Cote[16]. Afin d’y remédier, un arrêté est adopté pour augmenter le nombre de stationnements sur la place.

 

Lutte pour les espaces centraux entre marchands alimentaires et forains

L’implantation des forains, marchands de produits non alimentaires, remonte sans doute aux origines du marché alimentaire. Occupation illégitime d’abord, l’encadrement légal de la pratique se concrétise dans l’attribution d’un emplacement précis mais appelé à évoluer. A compter de 1900, la répartition de l’espace se définit par l’articulation, la cohabitation et le déplacement de ces deux sphères marchandes, unies par des liens complexes de complémentarité et d’antagonisme.

Au début du siècle, le marché alimentaire se tient sur la partie asphaltée de la place à l’est, tandis que sur sa partie ouest la « place triangulaire » située au débouché du Cours Tolstoï accueille le marché forain. Des redistributions en 1926 obtiennent 150 mètres linéaire supplémentaires à l’alimentaire, jugé prioritaire. A l’occasion on achève le regroupement des forains[17] dont l’espace n’est pas en reste puisqu’il progresse dans une proportion telle qu’il empiète sur la voirie.

Mais l’agencement spatial mérite d’être clarifié davantage. A partir de 1920, des considérations d’hygiène finissent par l’emporter et consacrent l’éloignement et la séparation définitive des chiffonniers du reste des forains. Étonnamment, c’est vers le boulevard de la Côte, espace résidentiel aisé, qu’ils sont dirigés. Si l’opération affiche des ambitions en matière de rationalisation, la ségrégation joue aussi un rôle dans l’essentialisation des espaces du marché. Les emplacements ne se valent pas, les groupes se disputent l’accès définitif aux meilleures places. Emblématique à ce titre, la rivalité opposant marchands alimentaires et forains, résume ces dynamiques de concurrence et de hiérarchisation spatiale.[18]

En 1933, la refonte du marché entre dans le cadre des travaux de voirie visant l’élargissement de la route de Crémieu et le redressement du cours Tolstoï, point de convergence de la circulation routière et du tramway. La réduction de la surface de la place entraine le transfert du marché alimentaire rue de la gare, sur un terre-plein disponible, spacieux et fraîchement aménagé[19]. La décision suscite la controverse. Les marchands alimentaires défendent chaudement leur centralité au sein d’une place stratégique. Ce déplacement permet pourtant de conquérir un espace considérable, puisque les marchands abonnés obtiennent trois rangs de places fixes soit 675 mètres linéaires, auxquels s’ajoute un rang de 180 m le long du mur pour les permissionnaires, soit 855 mètres au total[20]. Mais ces mesures compensatoires sont-elles suffisantes à dédommager les marchands concernés par la perte éventuelle d’une partie de leur clientèle ?

Cette contestation trouve un écho dans le contexte du déplacement récent de la mairie et du centre administratif vers le nouveau quartier des Gratte-ciel, qui préoccupe les commerçants. Leurs intérêts remis en cause, marchands alimentaires et commerçants sédentaires (qui profitent eux aussi de l’attraction du marché), regroupés dans un comité d’intérêt local de la place Grandclément et des rues adjacentes, redoublent leurs protestations. Trois ans après le départ du marché, son rétablissement sur les lieux est toujours réclamé, en vain[21]. Le marché alimentaire de l’ancienne place de la Mairie perd doublement et définitivement sa centralité.

Le principe de séparation entre marché alimentaire et marché forain est réaffirmé en 1950 à l’occasion de l’éviction de plusieurs forains rue de la gare, accusés de scinder le marché en occupant illégalement un espace réservé à l’alimentaire. Cette convention s’est maintenue durablement jusqu’en 2016, date à laquelle le marché forain est relocalisé sur le parking de l’ancienne gare de Villeurbanne, suite au lancement de travaux de grande ampleur et de longue durée[22]. Très mal vécu par les forains, relégués à leur tour à la périphérie du marché alimentaire, ce dernier épisode inverse la reconfiguration de 1933. Mais dans le cadre des aménagements de la ZAC Grandclément-gare, ce déplacement pourrait ne pas être le dernier. En attendant les travaux du T6, la place Grandclément, vacante, fait l’objet d’aménagements provisoires par le Grand Lyon et alimente bien des débats.




Notes

[1]  Voir 1D270-AMV

[2] Actuelles rue Jean Jaurès et Léon Blum.

[3] Il faut mentionner la présence d’une foire aux bestiaux annuelle depuis 1835.

[4] Voir l’article sur le marché des Maisons Neuves

[5] Pétition en 4F1-AMV

[6] Voir l’article sur le marché des Maisons Neuves.

[7] Voir à ce sujet, BLECHET et CINQUIN, Etude du commerce non sédentaire : les marchés forains dans la COURLY, mémoire, Université Lyon II, 1983.

[8] L’analyse des signataires de la pétition fournit un cadre géographique : ses frontières s’étendent aux confins lyonnais à l’ouest, rue Magenta, et au chemin de Bron à l’est.

[9] Projet qui ne semble pas avoir été promis à une grande duré de vie. Voir à ce sujet les arrêtés du maire du 10/12/1900, création d’un marché « paille et fourrage », 2D160- AMV.

[10] Voir article sur la règlementation des marchés.

[11] Délibération du 27 aout 1892 - 1D269- AMV

[12] Le tour très général de son énoncé paraît commun à tous les marchés mais les mesures, étonnamment, le désignent explicitement. Voir délibération du 13/03/1933 – 1D277-AMV et voir l’article sur les règlements des marchés.

[13] Voir délibération du 25/07/1900 – 1D271-AMV.

[14] 1D271-AMV et note du 3e bureau de septembre 1932 -1J23-AMV

[15] Actuelle rue Dr Frappaz.

[16] Actuel Boulevard Eugène Réguillon.

[17] Ce cloisonnement n’est pas devenu pour autant systématique : on tolérait encore des quincailliers au cœur du marché alimentaire après cette date.

[18] Le statut du vendeur revêt aussi son importance dans la répartition des espaces : les meilleurs emplacements sont réservés aux abonnés, qui paient le prix fort, les journaliers se partagent le reste. Voir à ce sujet l’article sur les réglementations des marchés alimentaires.

[19] Actuelle rue du Général Leclerc.

[20] Des 400 m linéaires au départ, le marché alimentaire est passé à 855 en 1933, soit plus du double.

[21] Le sujet reparaît à la faveur des échéances électorales, il est ainsi réexaminé par la nouvelle municipalité communiste élue contre les socialistes en 1935. Voir les articles la Voix du peuple : « Au sujet du marché Grandclément » du 4 janvier 1936 – AD 2305, et « La question du marché de la place Grandclément. Statu quo ! Pourquoi ? » du 16 mai 1936.- AD 2800 – AMV.

[22] Aménagement du trolley C3 en site propre, passage du tramway T6, restructuration de la place Grandclément


Bibliographie

BLECHET et CINQUIN, Etude du commerce non sédentaire : les marchés forains dans la COURLY, mémoire, Université Lyon II, 1983.


Sources

Archives Municipales de Villeurbanne :

1D269 : Registre des délibérations du conseil municipal (mai 1888-juin 1891).

1D270 : Registre des délibérations du conseil municipal (juillet 1891-novembre 1895).

1D271 : Registre des délibérations du conseil municipal (novembre 1895-mai 1901).

1D277 : Registre des délibérations du conseil municipal (novembre 1928-janvier 1934).

2D160 : Registre des arrêtés du maire (1884-1901).

4F1: Subsistances : foires et marchés d'approvisionnement et d'animaux (1892-1959).


Mots-clés : Culture ouvrière
Thèmes : Economie et industrie

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