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Consultation

Centrale hydroélectrique de Cusset

La centrale hydroélectrique de Cusset, rue de Pierrefrite, est située sur un barrage du canal de Jonage entre Villeurbanne et Vaulx-en-Velin. Son aménagement entre 1894 et 1899 représente le plus important chantier hydroélectrique d’Europe entraînant le développement économique de la région lyonnaise. Elle est l’une des plus anciennes installations françaises de basse chute.

L'usine-barrage en 1903, carte postale (2Fi210)
L'intérieur de la centrale hydroélectrique, carte postale (2Fi216)
façade sud de la centrale hydroélectrique (ph. S. Madjar)

Auteur(s) : Sandrine Madjar, historienne de l'art

Révolution industrielle et énergies nouvelles

À la fin du 19e siècle, la Fabrique lyonnaise [1], moteur économique de la ville, connaît d’importants changements. L’arrivée de technologies nouvelles conduit au déclin de la manufacture traditionnelle de la soie au profit de grandes usines mécanisées. Villeurbanne est alors une commune rurale dont l’urbanisation s’accélère par l’implantation d’usines. Les vastes terrains disponibles, situés aux portes de la ville lyonnaise, permettent le transfert de leur production. C’est en pleine révolution industrielle, marquée depuis 1880 par l’utilisation d’énergies nouvelles, que naît la nécessité de produire de l’électricité afin d’alimenter ces usines.

Une production électrique hydraulique

Face aux besoins d’une énergie électrique abondante et rentable, l’ingénieur Jean-François Raclet [2] imagine une dérivation du Rhône sur le territoire de Jonage au cours du dernier quart du 19e siècle. Ce projet a pour objectif d’utiliser une force motrice capable de produire de l’énergie électrique en grande quantité. Précurseur dans le domaine hydroélectrique, Raclet s’éloigne des traditionnelles usines thermiques dont l’exploitation est onéreuse.

Son projet est porté par la Société Lyonnaise des Forces Motrices du Rhône [3] présidée par Joseph-Alphonse Henry (1836-1913), fabricant de soieries. Le conseil d’administration de la société se compose d’une trentaine de chefs d’entreprise lyonnais pour la plupart issus de la Fabrique et de la finance. L’ingénieur présente son projet à l’État qui autorise la construction du canal et de ses aménagements par la loi du 9 juillet 1892 [4]. Signée par le président Carnot, elle déclare d’utilité publique la création d’une dérivation navigable du Rhône qui permettrait un approvisionnement en énergie électrique produite par une chute d’eau.

Le décret du 21 décembre 1893 [5] accorde une concession de quatre-vingt-dix-neuf ans à la Société Lyonnaise des Forces Motrices du Rhône qui devient gestionnaire des dépenses, de l’entretien et de l’exploitation du site, ainsi que de la distribution en électricité pour Lyon et les communes avoisinantes.

Un chantier titanesque (1894-1899)

L’aménagement de la dérivation du Rhône, dénommée canal de Jonage, s’établit entre le village de Jons et le lieu-dit du Grand-Camp. Il traverse les communes de Jons, Jonage, Meyzieu, Décines-Charpieu, Vaulx-en-Velin et Villeurbanne sur une longueur de 18,850 km et sur une largeur variant de 60 à 105 m. Le chantier comprend un ouvrage de garde, barrage de Jonage, destiné à régler le débit du canal, un déversoir de sécurité évacuant les trop-pleins vers le Rhône ainsi qu’un réservoir compensateur, le Grand Large, de 150 ha aménagé sur la commune de Meyzieu. Il permet de stocker l’eau et de réguler le débit selon les besoins en électricité. L’usine hydroélectrique est installée entre le canal d’amenée de 16 km qui achemine l’eau du Rhône jusqu’à l’usine et le canal de fuite de 3 km qui la restitue au fleuve. Cette centrale de basse chute de faible dénivelé, également appelée « au fil de l’eau », produit de l’énergie suivant le débit du canal.

Après la libération des terres agricoles, les travaux débutent en septembre 1894 et emploient près de trois mille ouvriers. La première mise en eau du canal a lieu à l’automne 1897 et révèle des problèmes d’infiltrations. La société annonce le 27 janvier 1899 la mise en fonction officielle de l’usine hydroélectrique. La force de la chute d’eau, de 12 m en moyenne, fait tourner les turbines alimentant les générateurs qui produisent de l’électricité. L’usine fonctionne initialement avec huit turbines sur seize, puis en 1902, l’ajout de huit autres turbines met fin à l’aménagement de la centrale. L’adjonction d’une usine thermique dès 1906 permet de répondre aux besoins croissants des consommateurs et d’assurer la continuité de la production en cas d’incidents techniques de l’usine hydroélectrique.

Le canal étant navigable, deux écluses sont mises en place pour parer aux dénivellations. Une écluse simple est installée au barrage de Jonage tandis qu’une double, nécessaire pour franchir la hauteur de la chute d’eau, est attenante à la centrale de Cusset. Sept grands ponts métalliques sont aménagés au-dessus du canal afin de rétablir la communication entre les deux rives.

Au début du 20e siècle, l’aménagement du canal de Jonage et son usine hydroélectrique à Cusset favorisent ainsi l’essor économique de l’agglomération. La mise en service de la centrale, à l’origine du développement industriel de Villeurbanne, améliore également les conditions de vie : l’éclairage urbain est généralisé.

 Une architecture monumentale

L’usine hydroélectrique de Cusset est réalisée en béton recouvert d’un parement en pierre et adossée à un mur de retenue de 17 m de haut. Le bâtiment comporte un étage et repose sur des voûtes en plein cintre servant de contrefort. La centrale fait un barrage de 166 m de long accolé à la rive gauche du canal, côté Villeurbanne. L’édifice adopte un plan symétrique avec un corps central en saillie se terminant par un toit terrasse et deux ailes couvertes d’un toit à deux pans surmonté par un long lanterneau.

La Société Lyonnaise des Forces Motrices du Rhône, qui souhaite afficher sa puissance et sa modernité, porte un soin particulier à la qualité esthétique de l’usine dont le décor des façades est confié à l’architecte Albert Tournaire [6]. Il s’inspire du style néoclassique [7], pour donner à la construction une apparence monumentale soulignant la volonté de puissance de l'entreprise. L’élévation principale, en aval du canal, est la plus élaborée. Elle présente des corniches et des consoles qui apportent du volume et du rythme à la façade. Le premier étage est prolongé par une terrasse à balustres.

L’entrée de l’usine s’effectue par la façade sud qui présente un riche décor en céramiques colorées élaboré par l’entreprise Sautier-Thyrion et Mouton. Le fronton comporte l’enseigne des Forces Motrices du Rhône et la porte est encadrée par deux bronzes en semi-méplat, réalisés par le sculpteur lyonnais Jean Chorel (1875-1946). Il exécute l’effigie des deux protagonistes du projet, Joseph-Alphonse Henry à l’ouest et Jean-François Raclet à l’est. Le bâtiment adopte une composition régulière et esthétique qui montre la volonté de faire participer l’architecture à la mise en valeur du lieu.

L’intérieur de l’usine se compose d’un niveau inférieur divisé en seize chambres où sont installées les turbines, d’un niveau intermédiaire accueillant le matériel accessoire et permettant la visite des turbines et d’un niveau supérieur. Ce dernier consiste en un large hall couvert par une charpente métallique de 152 m de long et 12 m de large où sont installées les génératrices de courant électrique.

La période de modernisation (1933-1952)

L’équipement d’origine de la centrale nécessite rapidement des modifications afin d’accroître ses capacités en production d’énergie. L’apport étant insuffisant pour répondre à la consommation croissante, la Société Lyonnaise des Forces Motrices du Rhône prend la décision en 1930 d’investir dans un large programme de modernisation du site. Il consiste en l’aménagement d’une prise d’eau à l’entrée du canal avec la construction du barrage de Jons et au remplacement des anciennes turbines par des groupes plus performants.

Le ministère des Travaux Publics souscrit à ce projet, par le décret du 17 février 1932 [8] et accorde un avenant à la loi primitive de 1892. Les travaux débutent en 1933 par la construction du barrage de Jons mis en service en 1937. Ce barrage mobile à grandes vannes est conçu conjointement par les architectes Antonin Chomel (1889-1964) et Robert Giroud (1890-1943), architecte de l’hôtel de ville de Villeurbanne. L’installation permet d’augmenter le débit et de relever le niveau de la retenue afin d’augmenter la hauteur de la chute d’eau. Ainsi le débit initial de 130 m3/s en moyenne atteint 500 m3/s. Les turbines d’origine de la centrale sont remplacées par quinze groupes turbo-alternateurs permettant d’augmenter la puissance de l’usine de 22000 à 90000 cv [9].

La période de modernisation prend fin en 1952 et permet de faire de l’usine hydroélectrique de Cusset l’une des plus importantes de France. Le réservoir du Grand Large n’a depuis plus d’utilité, de même que le barrage de Jonage dont le rôle, désormais secondaire, permet d’ajuster le débit.

La centrale hydroélectrique de Cusset aujourd’hui

Depuis la loi du 8 avril 1946 qui nationalise l’électricité et le gaz, l’exploitation du site a été transférée à Électricité de France. À la fin des quatre-vingt-dix-neuf ans de concession, EDF en a renouvelé la demande qui lui a été accordée en 2002 pour une durée de quarante ans.

L’usine hydroélectrique, patrimoine industriel de Villeurbanne, utilise désormais un débit de 600 m3/s permettant de produire 415 millions de kWh par an. Lors du centenaire de la centrale en 1999, l’association intitulée Usine sans fin est créée pour la mise en valeur du site en lien avec EDF.

En 2004, EDF entame une seconde période de modernisation du site et de son exploitation. L’aménagement devient entièrement automatisé en 2008 et le programme de rénovation prend fin en 2015.

Depuis le 16 juin 2018, au bord du canal, un belvédère est accessible au public et permet de mettre en valeur l’usine hydroélectrique de Cusset. Situé sur le toit de l’ancienne « huilerie », il offre un point de vue inédit sur les eaux et sur le bâtiment. Il permet aux visiteurs de découvrir son rôle et son fonctionnement, son histoire de 1899 à nos jours.


Notes

 [1] Née au 17e siècle à Lyon, la Fabrique est l’organisation d’une centaine de petites manufactures indépendantes qui contribuent au travail de la soie, pour des marchands-fabricants.

 [2] Jean-François dit Joannis Raclet (1843-1926) est originaire de Thoissey. Il sort ingénieur de l’école de la Martinière de Lyon et ouvre en 1875 son cabinet d’ingénieur civil place des Célestins à Lyon.

 [3] La SLFMR (Société Lyonnaise des Forces Motrices du Rhône) en charge de la production et de la distribution de l’électricité est créée en 1892. Elle succède au Syndicat lyonnais des forces motrices du Rhône fondé en 1889 pour l’obtention de la concession de la dérivation du Rhône à des fins d’exploitation.

 [4] Société lyonnaise des forces motrices du Rhône : constitution de l’affaire, historique du Canal de Jonage (1895-1980). ADR, 156J 1 

 [5] Moussa (Jean), « Le canal de Jonage », Rive Gauche, septembre 1978, p. 7.

 [6] Albert Tournaire (1862-1958) originaire de Nice, formé à l’École des Beaux-Arts de Paris, devient architecte officiel de la capitale. Il reçoit le Grand Prix de Rome en 1888.

 [7] Période architecturale (1750-1850) qui se caractérise par un retour au classicisme des 16e et 17e siècles et à l’Antiquité.

 [8] Moussa (Jean), « Le canal de Jonage », Rive Gauche, septembre 1978, p. 9.

 [9] Société lyonnaise des forces motrices du Rhône : constitution de l’affaire, historique du Canal de Jonage (1895-1980). ADR, 156J 1 


Bibliographie

Bonneville (Marc), Naissance et métamorphose d’une banlieue ouvrière, Villeurbanne : Processus et formes d’urbanisation, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1978, 287 p. (cote AMV 2C1)

Chavent (Jean-Luc) et Neyret (Régis), Lyon méconnu 3 : L’Est de Lyon et Villeurbanne, Lyon, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, coll. « Lyon méconnu », 96 p. (cote AMV 2C10)

Fleury-Alcaraz (Karine) et Varaschin (Denis), « Le canal de Jonage », Archéologia, 1994, n° 307, p. 60-65.

Gras (Philippe) (dir.), Un Trésor se révèle : Découvrez la centrale hydroélectrique de Cusset et le canal de Jonage, Lyon, Patrimoine Rhônalpin, coll. « Les guides du patrimoine rhônalpin », 2007, 60 p. (cote AMV 2C1316)

Lafoucrière (Jean) et Varaschin (Alain et Denis), Le Haut-Rhône : Force et Lumière, Clarafond, La Luiraz, 1987, 183 p.

Moussa (Jean), « Le canal de Jonage », Rive Gauche, septembre 1978, p. 7-11

Varaschin (Alain et Denis), La construction du canal de Jonage, Seyssel-sur-Rhône, Éditions Comp’Act, 1992, 320 p. (cote AMV 2C1313)

Varaschin (Denis), « État et électricité : le canal de Jonage », Cahier Velin, 1994-95, n° 1, p. 29-36.

Varaschin (Denis), « Lumière sur Jonage. Les images de la représentation », Bulletin du Centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, 1997, n° 1-2, p. 19-29 (cote AMV 3C169)


Sources

Archives départementales du Rhône :

156J1 : Société lyonnaise des forces motrices du Rhône : constitution de l’affaire, historique du Canal de Jonage (1895-1980).

 

Archives municipales de Villeurbanne :

1O75 : Usine hydro-électrique de Cusset : projet de Raclet (1890), règlement concernant les installations électriques (1902), usine à vapeur de Cusset (1909), plans (1936), bâtiment pour sous-station de survolteurs : plans (1911), correspondance (1925-1934)

 

296W112 : Usine hydro-électrique de Cusset, gestion administrative : correspondance (1992-1999).

 

Articles de presse :

« La plus importante usine du monde, Le barrage de Cusset : une puissance inimaginable à la fin du siècle dernier », Lyon-Matin, 28 août 1988.

« Aménagement hydroélectrique de Cusset », Le Progrès, 19 juillet 1996.

« Canal de Jonage : le temps du projet (1) », Le Progrès, 28 février 1999.

« Canal de Jonage : le temps de la construction (2) », Le Progrès, 7 mars 1999.

 

Webographie

HALITIM-DUBOIS (Nadine), 1999, Centrale hydroélectrique de Cusset et centrale thermique, actuellement EDF, L’inventaire du patrimoine – Région Rhône-Alpes, document en ligne, consulté le 2015-05-18,

<http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0CCQQFjAA&url=http%3A%2F%2Fpatrimoine.rhonealpes.fr%2Fdossier%2Fpdf%2F79b98561-9563-4ecd-89f4-83392aa224b2%2Fcentrale-hydroelectrique-de-cusset-et-centrale-thermique-actuellement-edf.pdf%3Fvignette%3DAucune&ei=hVZfVf2OG4LaUYGbgPgD&usg=AFQjCNFxlhJYS7CYQHh-FJ_n0meyFOfbJQ>

 

Dossier de presse EDF, 2013, Aménagement hydroélectrique de Cusset (Rhône), EDF Unité de Production Alpes, document en ligne, consulté le 2015-05-25, <<http://energie.edf.com/fichiers/fckeditor/Commun/En_Direct_Centrales/Hydraulique/Centres/Les_Alpes/publications/documents/DP_CUSSET.pdf>


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