Sur le front
Lettre de Lazare Goujon adressée à son épouse Isabelle, novembre 1916. AMV, fonds R.Fisher 13Z1 - 2/2
Transcription
[…]Je n’ai pas d’autre distractions et je m’occupe à perfectionner mon infirmerie qui méritera bientôt je l’espère, les mêmes compliments qu’au 89e territorial. Je pense qu’actuellement tu as reçu toutes mes lettres et que tu peux vivre un peu de ma vie. J’attends toujours un mot des enfants mais les communications sont si difficiles et si lentes. Quand recevras-tu cette lettre ? Les heures de nuit sont longues aussi quelques fois et je les occupe en rêveries. En voici une que j’ai rimée et qui t’est adressée. Si tu penses qu’elle en vaille la peine, dis le moi, j’aurai peut-être le courage d’en rimer d’autres.
Que le manteau des nuits soit parsemé d’étoiles
Et couvre les coteaux de reflets argentés ;
Que la fureur des temps gronde à travers ses voiles
Et trouble le sommeil des champs et des cités ;
Comme un oiseau lassé qui retourne à se cage
Je rentre et je m’enferme, et, quand nul ne me voit,
Je laisse errer mon coeur autour de ton image
Je rêve à toi !
Vain espoir ! La mort plane et ses ailes sont grandes
Les coeurs sont trop meurtris par nos malheurs communs !
Nous faisons au Destin de terribles offrandes
Pour laisser à nos fils de meilleurs lendemains !
Je ne sais plus, dès lors, qu’aimer sans espérance,
En attendant le jour où, l’âme sans effroi,
Je mourrai, s’il le faut, loin de ma douce France
Et loin de toi !
Ne t’inquiète pas du ton du morceau car j’ai l’intense conviction de revenir en France tout entier. Je t’embrasse bien fort.