Les usines Gillet
Cet exemple industriel est intéressant à plusieurs titres.
La plus grande usine villeurbannaise
Il s’agit d’abord d’une des plus grandes usines villeurbannaises par le nombre des salariés dans l’une des branches industrielles qui ont fait la prospérité et la fortune de la région lyonnaise : le textile, la soierie et les colorants. L’usine est en effet spécialisée dans la teinture et l’apprêt soie et mélangés, noir d’abord, puis en couleur pour les fabricants de soierie.
Elle appartient d’autre part à une grande famille industrielle, les Gillet, capitaines d’industrie, bien intégrés dans la bourgeoisie d’affaire capitaliste du XIXe siècle qui possède plusieurs usines dans la région lyonnaise et plus loin.
Les Gillet : une famille d'industriels
Le fondateur de la dynastie est François Gillet, arrivé à Lyon en 1830, venant de Bully. Il entre comme apprenti chez un teinturier lyonnais pour apprendre la teinture sur soie.
Il s’associe en 1840 avec ses beaux-frères, les Pierron, et grâce à l’aide financière de son beau-père, fonde une société. Son entreprise prospère rapidement. Son atelier, qui occupe 3 salariés en 1840, migre à cette date des Brotteaux pour les bords de Saône et le pied de la Croix-Rousse. En 1846, il emploie déjà une trentaine d’ouvriers.
Sa prospérité est liée à la spécialisation dans la teinture des soies noires, très demandées sous le Second Empire. Ces années 1860 sont celles de la consécration de François Gillet. Son chiffre d’affaires atteint en 1873, 6 millions de francs et son entreprise est devenue la plus importante entreprise de teinture sur la place lyonnaise.
Il a très tôt associé ses fils Joseph et François à ses affaires, envoyant Joseph faire des études de chimie en Allemagne, pays très en pointe dans le domaine de la chimie des colorants, à cette époque. Il s’adapte à la concurrence et utilise très vite les techniques de production les plus modernes, remplaçant les colorants naturels par les colorants chimiques.
En 1869, François Gillet crée la Société Gillet et fils, associant ainsi ses deux fils. Il a noué des relations d’affaires mais aussi familiales avec les entrepreneurs du textile du Nord de la France, dont les Motte des lainières de Roubaix et des mines de Lens.
En 1880, à la veille de la création de l’usine de Villeurbanne, l’entreprise Gillet emploie 1200 personnes réparties sur plusieurs sites : Lyon, Izieux dans la Loire, et Vaise.
En 1889, lorsque l’usine de Villeurbanne est construite, François Gillet s’est retiré des affaires et son fils Joseph détient la majorité des parts.
Le choix du terrain villeurbannais est directement lié à la présence de la Rize qui allait permettre de puiser, sans difficultés, une eau d’excellente qualité et disponible en grande quantité. Le terrain est alors en pleine campagne sans habitations dans un rayon de cent mètres, donc sans opposition des voisins. L’évacuation des émanations de chlore doit se faire grâce à une cheminée de 50 mètres de haut. On peut polluer sans souci.
Conditions de travail et de vie pour les ouvriers des grandes industrie
Les conditions de travail y sont identiques à ce que l’on peut trouver dans les usines à cette époque. La durée moyenne de travail, vers 1890, est de 10 à 11 heures par jour, le salaire horaire moyen entre 41 et 55 centimes pour les hommes selon la tâche et la qualification, entre 21 et 27 centimes pour les femmes. Des enfants recrutés parmi les enfants d’ouvriers, y sont employés.
Les grèves et les revendications sociales y sont fréquentes et les ouvriers de l’usine Gillet suivent les mouvements sociaux en cours à Villeurbanne. Ainsi, ils participent à la grève générale de 1903 à Villeurbanne.
La firme Gillet est aussi un excellent exemple de paternalisme ouvrier. Tels les patrons des sociétés minières, les Dolfuss à Mulhouse pour le textile ou les Schneider au Creusot, les Michelin à Clermont-Ferrand, ils veulent s’attacher la main d’œuvre qu’ils emploient : logement ouvrier, caisse de retraite, intéressement aux bénéfices pour les salariés, construction d’églises pour affermir la pratique religieuse des ouvriers et moraliser le mode de vie.
Ainsi, les maisons Gillet constituent-elles un exemple de ces cités ouvrières construites par les patrons pour loger leurs ouvriers et éviter leur départ éventuel vers d’autres entreprises qui les paieraient mieux. Il s’agit aussi d’éviter les revendications sociales trop fortes : un départ volontaire ou un renvoi fait perdre à la famille le logement.