Représailles
Pour évoquer les méthodes de la Gestapo, on peut étudier la rafle villeurbannaise du 1er mars 1943. A cette date, la région lyonnaise, comme l’ensemble de la France est occupée par l’armée allemande et l’administration de Vichy n’a plus aucun pouvoir.
La rafle
Au petit matin du 1er mars 1943, l’ancien centre de Villeurbanne, soit le quartier délimité par le cours Tolstoï, la place Grandclément et le boulevard Eugène Réguillon au nord, la rue du 4 août au sud, l’avenue Auguste Blanqui à l’est et la rue du Progrès à l’ouest est quadrillée par la Gestapo, des SS et des collaborateurs. Toutes les maisons sont visitées. Des arrestations d’hommes âgés de 17 à 52 ans sont opérées à domicile ou dans la rue. Ils sont tous parqués et contrôlés au café Jacob (à l’emplacement actuel d’une agence bancaire située à l’angle de la place Grandclément et du boulevard Eugène Réguillon, sur la façade de laquelle se trouve aujourd’hui une plaque commémorant l’événement). 136 hommes sont rassemblés à la gare proche de Villeurbanne (une plaque a aussi été apposée) et quittent Villeurbanne pour Compiègne, par train dans des wagons plombés, avant d’être envoyés dans le camp de concentration de Mauthausen en Pologne pour la plupart d’entre eux. Seuls 63 d’entre eux reviendront après la guerre et 15 décèderont dans les mois suivants.
Les sources
Un dossier conservé aux archives municipales sous la côte 5H24 permet d’éclairer un peu cet épisode et surtout de caractériser les méthodes allemandes de prises d’otages pour tenter d’arrêter les actions des résistants et l’attitude des autorités françaises.
Dans une lettre datée du 3 avril et adressée par le maire nommé par Pétain, Paul Chabert, aux autorités de Vichy, celui-ci précise au conditionnel les raisons de cette rafle : « l’opération du 1er mars, que les « SS » allemands appellent opération de représailles, aurait été faite pour punir la population des attentats commis dans la région lyonnaise ». Il poursuit : « malheureusement, il est à penser qu’elle ne donnera pas les résultats escomptés : 80% des personnes arrêtées sont honorablement connues à Villeurbanne et les vrais coupables courent encore. »
Il s’agit donc d’une opération de représailles de la part des autorités allemandes contre les actions nombreuses des résistants. Le reste de la correspondance du maire permet de mettre en évidence quelques caractéristiques essentielles de la collaboration des autorités de Vichy et de l’administration française avec les Allemands. Paul Chabert tente sans succès de venir en aide aux familles et aux hommes arrêtés. Il adresse des lettres au préfet du Rhône, aux autorités allemandes[1]. Celles-ci annoncent qu’elles ne les libèreront que si les vrais « coupables » sont arrêtés. Le maire fournit une liste de 103 hommes dont la municipalité se porte garante. La comparaison avec une liste de 136 noms présente dans le dossier permet de voir que Paul Chabert a éliminé les étrangers (espagnols, polonais, russes, tchèques avec parfois des noms à consonance juive), quelques non-villeurbannais, mais aussi des villeurbannais (pour des raisons inconnues dans ce cas-là). Dans la correspondance du maire aussi bien auprès de Vichy que des Allemands, on trouve une condamnation des actions des résistants. L’argument avancé pour réclamer le retour des raflés est le caractère injuste de l’arrestation d’hommes innocents, tout en considérant que l’acte de résistance face à l’occupant est illégal.
La correspondance échangée en 1944 avec la Croix-Rouge française et le Comité International de la Croix-Rouge à Genève, seul organisme capable d’obtenir quelques renseignements sur le sort des déportés et de faire parvenir des colis, montre bien que les autorités françaises n’ont aucun moyen d’action face aux forces d’occupations qui occupent le pays. C’est d’ailleurs la Croix-Rouge qui retrouve la trace de quelques raflés villeurbannais au camp de Mauthausen.
Paul Chabert est aussi contraint d’agir en raison de l’action importante d’un « Comité d’entraide aux absents et à leurs familles » qui s’est constitué à Villeurbanne. Il est dirigé par Francis Chirat, militant de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), résistant, qui a été arrêté et exécuté par la Gestapo sur la place Bellecour en juillet 1944.
Approche pédagogique
Une entrée est possible avec les élèves sur cet épisode en partant des plaques commémoratives de l’événement et de celles de la rue du 1er mars 1943, dans le quartier même de la rafle. On peut faire remarquer aux élèves une erreur sur la plaque indiquant le nom de la rue. Il y est fait référence au STO. Cette rafle n’a rien à voir avec le refus du STO. Elle n’a pas visé uniquement des jeunes hommes réfractaires mais des hommes de tous les âges : le plus âgé est né en en 1891 et 74 sont nés avant 1920. D’autre part, aucun n’a été affecté au STO.
[1] Extraits d’une allocution non datée, adressée aux familles par le maire, recensant les actions entreprises entre le 2 mars et le 1er juillet 1943, archives municipales de Villeurbanne (5H24).