Les invisibles

Le mot ouvrier est-il tabou ?
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« Pour les médias, les ouvriers ont disparu, analyse Roger Cornu, sociologue. Les pourcentages sont trompeurs. Le nombre d’ouvriers n’a quasiment pas changé depuis 50 ans, plus ou moins 6 millions de personnes. Ce qui a changé, c’est la taille de la population active. Et alors que dans les années 1950 les ouvriers étaient concentrés dans de grosses entreprises, depuis les années 1990, plus de la moitié travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés. » Ce sont surtout les « bastions ouvriers », comme le charbonnage, la sidérurgie, le textile qui ont progressivement disparu.

Pourtant, cette catégorie semble devenue invisible sur les scènes médiatique, politique et culturelle. Selon le baromètre de la diversité à la télévision publié par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en juillet 2011, les ouvriers, qui sont 12% de la population totale, ne représentent que 2% des personnes vues à la télévision. Alors que les cadres supérieurs, qui ne constituent que 5% de la population, en représentent 79%… Plus frappant encore : un seul élu ouvrier parmi les 577 députés de l’Assemblée nationale.

Les représentations sont centrées sur le conflit ou la pénibilité du travail, avec des euphémismes : l’ouvrier à la chaîne est devenu un opérateur, la grève un mouvement social, le harcèlement un risque psychosocial… Aujourd’hui, les ouvriers ne sont visibles que lors de catastrophes ou de grèves, parfois présentées comme des causes perdues d’avance.