Accueil > Consultation > Encyclopédie > Le socialisme à Villeurbanne (1905-2015) (2).
Comment s’est déroulé le XXe siècle dans une ville très marquée à gauche comme Villeurbanne ? A-t-elle été réellement cette ville-laboratoire d’idées pour le Parti socialiste, dont rêvait Charles Hernu ?
Au cours des premières décennies du siècle, le premier chantier des maires socialistes est, sans conteste, le logement social et le cadre de vie, tant le besoin est grand, compte tenu de l’augmentation de la population. Il faut procurer des logements à des familles aux ressources modestes et mettre fin à l’habitat vétuste, insalubre, aux taudis et aux bidonvilles. Dès le début, les municipalités se préoccupent des questions d’hygiène et d’assainissement. L’une des solutions consiste à créer un Office municipal d’habitations à bon marché (HBM). Mais, comme les premières municipalités se mobilisent essentiellement sur la question de l’annexion par la ville de Lyon[1], il faut plusieurs années pour y parvenir. Initié par Émile Dunière[2], l’Office HBM est finalement créé par Jules Grandclément en 1914[3]. Il réalise de remarquables opérations, par exemple, cours Émile-Zola (1928), rue Michel-Servet (1930), rue Colin (1926), la résidence Émile-Bouvier aux Buers (1933) ou encore la résidence Pierre-Cacard (1939), mais sa gestion laisse à redire, comme le révèle l’affaire des malversations financières sur les fonds propres de l’office par son directeur, Alexandre Vincent[4].
Dans les années 1930, la Société villeurbannaise d’urbanisme (SVU) prend le relais et construit les Gratte-Ciel : 1400 logements sociaux en centre-ville, un ensemble unique en France. Les préoccupations hygiénistes sont prises en compte avec eau, gaz, électricité à tous les étages, eau chaude sur l’évier, chauffage central, vide-ordures, ascenseurs.
Après la 2e guerre mondiale, l’Office d’HLM poursuivra la construction de logements sociaux dans tous les quartiers et, plus tard encore, réhabilitera les immeubles les plus anciens, à l'exemple de la résidence Camille-Koechlin.
Mais le problème du logement fait l’objet d’autres approches innovantes. La municipalité de Lazare Goujon souhaite que les ouvriers accèdent à la propriété ; elle les encourage à se regrouper en associations, syndicats ou coopératives. Des terrains sont acquis. C’est ainsi que naissent les « cottages », petits pavillons avec jardin.[5] Plus généralement, une politique de lotissements est engagée, conduisant à la réalisation de cités ouvrières ou de cités-jardins.
La question du logement social permet de bien différencier les politiques municipales de gauche et de droite. Il est significatif de constater que, de 1970 à 1974, sous la municipalité d’Étienne Gagnaire, aucun logement social n’est construit par l’office d’HLM ou la Communauté urbaine (COURLY) sur le territoire de la commune.
En revanche, en 1977, comme rien n’avait été fait pour lutter préalablement contre la ségrégation sociale, la municipalité de Charles Hernu hérite de la gestion de l’insécurité engendrée par ce qui est devenu le ghetto de la cité Olivier-de-Serres[6] et plus tard celui des immeubles Fayard[7]. Décision est prise dès 1978 de raser les immeubles de la rue Olivier-de-Serres et de les remplacer par des HLM.
En même temps que se pose le problème du logement, le thème plus large du cadre de vie et de l’aménagement de la ville prend de plus en plus d’importance.
Alors que Lyon avait annexé en 1894 la partie du Parc de la Tête d’Or appartenant à Villeurbanne, soit près de 70 hectares, il fallut du temps pour reconstituer des espaces verts, de taille forcément plus réduite.
L’un des actes forts, en ce domaine, est à porter à l’actif de Charles Hernu lorsque sa municipalité décide d’acquérir la propriété J.-B. Martin, rue du 4 août, pour en réserver une partie à la réalisation du Parc des droits de l’homme. Parmi les créations les plus importantes, il faut citer également le parc Chanteur, le parc Geneviève-Anthonioz-De Gaulle (ou parc du Centre), le parc Étienne-Gagnaire et, surtout, le parc de la Feyssine[8].
Le deuxième axe de l’action des municipalités – et là, quelle que soit leur couleur politique, à l’exception de la municipalité sous Vichy – est relatif à ce qu’on appelait « instruction publique ». Mais il faudrait élargir et parler plutôt d’ « éducation populaire » en y ajoutant la culture et le sport.
Le chapitre premier des perspectives et réalisations municipales a toujours été celui des écoles, envisagées comme un ensemble. Il ne s’agit pas seulement d’édifier des locaux. Des œuvres parascolaires, telles les Amicales laïques, l’Oeuvre des enfants à la montagne, l’Oeuvre des enfants à la campagne, sont fortement encouragées, afin de poursuivre le travail commencé à l’école.
Citons Hippolyte Kahn, adjoint au maire de 1903 à 1919, qui a le mieux fixé l’objectif : « Si le Parti Républicain s’est toujours occupé du développement de l’Instruction Primaire, nous devons plus que tous, nous les socialistes, tendre nos efforts vers ce but, en songeant combien de peine a la classe ouvrière que nous représentons, à arriver à son émancipation, arrêtée par son manque de savoir, dans sa lutte de tous les jours contre la classe privilégiée »[9].
On ne peut énumérer toutes les réalisations, constructions et agrandissements de groupes scolaires ou les acquisitions extérieures à la ville, comme celles des centres de Chamagnieu, Dolomieu et Poncin[10]. Au-delà de l’instruction primaire, Étienne Gagnaire prend l’initiative de faire construire le lycée Pierre-Brossolette qui fut donc lycée municipal, alors que sa réalisation aurait dû incomber à l’Etat. Aujourd’hui, la ville dispose de toute la gamme des établissements de formation jusqu’à l’université et les grandes écoles.
Un effort important est également fait pour la culture.
Ainsi Lazare Goujon prévoit-il l’extension de la bibliothèque « populaire »[11] installée dans la nouvelle Mairie en 1933. Le Palais du Travail, conçu comme « un véritable temple laïque, centre d’activité intellectuelle, artistique et morale, est indispensable au développement démocratique de la Cité, ainsi qu’à l’éducation intégrale de la classe ouvrière, condition essentielle d’une amélioration véritable de son sort ».[12]
Il faut souligner la place importante qu’occupe le théâtre municipal, dans ce bâtiment, dès 1935. Il prend le nom de « Théâtre de la Cité » en 1957 quand Étienne Gagnaire fait venir Roger Planchon et sa troupe, avant qu’il ne devienne scène nationale avec le Théâtre National Populaire en 1972.
Mais il faut attendre 1977 et la municipalité de Charles Hernu, pour retrouver un nouvel élan : c’est en 1980 la création de l’École de musique qui deviendra École Nationale en 1985 ; c’est la réalisation en 1988 de la Maison du Livre, de l’Image et du Son-François Mitterrand ; c’est l’amorce, dès 1977, des fêtes de juin intitulées successivement « Villeurbanne en fête », puis « Eclanova », et « Invites » plus récemment. Il y a eu, depuis, bien d’autres réalisations, dont celle du Rize en 2008.
En revanche, l’action a été plus continue sur le plan sportif, même si les réalisations les plus importantes remontent aux années 1930 comme la piscine des Gratte-Ciel aménagée dans le Palais du Travail, le Centre nautique de Cusset, le stade Georges-Lyvet, sans parler du Stadium, vaste projet inabouti de Lazare Goujon, démoli en 1967. Toutes les municipalités, sauf celle de Vichy, ont contribué à la réalisation et la rénovation des équipements sportifs.
Le programme d’équipements a été poursuivi et complété tant avec l’Astroballe qu’avec de nouveaux gymnases ou terrains de proximité.
Le troisième axe des politiques menées par les municipalités socialistes est l’action sociale, là aussi au sens large.
Les premières municipalités se sont d’abord dotées d’un hôpital-hospice, rue Frédéric-Faÿs, inauguré en 1907. Plus tard, Lazare Goujon réalise un dispensaire général d’hygiène sociale[13]. Les enfants sont alors très suivis par un service de médecine scolaire dépendant de la Mairie. C’est toujours le cas aujourd’hui [14] alors que cette mission incombe à l’Etat.
Il y a toujours eu dans cette ville des dispositifs efficaces d’aide médicale et sociale, pour venir en aide aux indigents et aussi aux grévistes et aux chômeurs, particulièrement lors de la grande crise économique des années 1930. Cette orientation sociale a été poursuivie par les municipalités d’Étienne Gagnaire qui devaient affronter les conséquences de la désindustrialisation de la ville.
Pour essayer d’enrayer la montée du chômage, Charles Hernu a créé des parcs d’activités, mais cela n’a pas suffi, compte tenu de l’ampleur des problèmes, et il a dû lui aussi renforcer les aides aux chômeurs et aux grévistes.
Il faut souligner le rôle joué par le CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) dans la mise en œuvre de la politique sociale[15]. Parmi ses réalisations, on peut citer la création du service de portage de repas à domicile en 1980, la création du service de soins à domicile en 1982, la mise en place d’un fonds d’aide aux personnes en situation d’impayés de loyer en 1985, la mise en place du fonds d’aide aux jeunes en difficulté en 1990, et diverses mesures pour appliquer et renforcer la loi de lutte contre les exclusions à partir de 1998. Il gère aussi de nombreux établissements de personnes âgées sur le territoire de la commune telle que la MAPAD « Camille Claudel »[16] en centre-ville.
En revanche, c’est la ville qui gère directement les équipements de la petite enfance. Dans ce domaine, il y avait un retard très important : en 1977, une seule crèche était ouverte à la Perralière. Charles Hernu lance un ambitieux programme de crèches[17] et de haltes garderies, qui s’est poursuivi par la suite.
Dans l’ensemble, au regard de son histoire sociale et politique, on peut dire que Villeurbanne est une ville dont les édiles, à travers les décennies, se sont constamment référés aux valeurs qui fondent le socialisme : la République, les libertés, les droits de l’homme, la laïcité, la lutte contre les inégalités et toutes formes de discriminations. Plus concrètement, il s’est agi pour les socialistes villeurbannais de faire de leur ville une cité où les inégalités entre classes sociales soient moins sensibles qu’ailleurs.
[1] Résolues par Francis de Pressensé en 1906
[2] Maire de Villeurbanne de 1903 à 1908
[3] Une délibération du conseil municipal le met en place le 30 juin 1914, 3 ans après celui de Lyon créé en 1911 ; mais du fait de la guerre, c’est par un décret du 16 août 1919 qu’est créé l’Office qui tient son premier conseil d’administration le 21 janvier 1921 et fonctionne avec son premier directeur à compter du 21 février 1922.
[4] Son procès s’ouvre en Cour d’assises fin mars 1936.
[5] Goujon (Lazare), 1924-1934, ou 10 ans d’administration, ATL, 1934, p. 193-197
[6] archives municipales de Villeurbanne : dossier "Cité Olivier de Serres", plaintes, interventions, réponses du maire et coupures de presse (1970-1977) (2D94) et coupures de presse, opération destruction de la cité Olivier de Serres/ reconstruction résidence Jacques Monod (1982-1985) (14Z32) et presse (1975-1992)(14Z113 ).
[7] Les immeubles Fayard, 23 rue Edouard Vaillant, constituaient un îlot d’insalubrité dans les années 1990 (détruits en décembre 1997) (AMV, 349W23)
[8] Parc de la Feyssine : parc naturel urbain de 45 hectares dont la création est actée par délibération de novembre 1999.
[9] Conseil municipal du 18 décembre 1908, 1D273, p. 428-431
[10] Aujourd’hui seul subsiste le château de Chamagnieu qui accueille les classes villeurbannaises : l’Internat de Poncin est fermé en 2002 et mis en vente en 2005, le hameau du Fournier à Dolomieu est cédé à la société Etages par délibération du 10 mai 2001.
[11] Installée dans l’hôtel de ville depuis le début du 20e siècle.
[12] « Création d’un Palais du travail avec le concours du conseil municipal et des groupements mutualistes ... », Bulletin municipal officiel de la ville de Villeurbanne, juin 1927, p. 252.
[13] Installé au début de l'année 1932 dans le Palais du Travail, le dispensaire est transféré dans le centre médico-social scolaire rue Louis Becker, inauguré le 2 février 1971 et dénommé Roland Iattoni en 1983 (Bulletin Municipal officiel de la ville de Villeurbanne, janvier-février 1971).
[14] Voir Guerrier-Sagnes (Frédérique) et al., « Service de santé scolaire et promotion de la santé à Villeurbanne », Santé publique, n°3, 2005, p. 475-484.
[15] Le Bureau de bienfaisance créé en 1851, se transforme en Bureau d’aide sociale en 1956, puis en CCAS en 1976.
[16] Inaugurée en juillet 1999.
[17] Voir le bilan petite enfance « Fenêtres ouvertes sur les crèches, mini-crèches, halte-garderies de Villeurbanne », supplément au bulletin municipal Vivre à Villeurbanne, n°22, avril 1982, 19 p.
Meuret (Bernard), Le socialisme municipal : Villeurbanne 1880-1982, Presses Universitaires de Lyon, 1982, 301 p. (cote AMV 2C3)